« La création de la chaîne franco-allemande ARTE était aussi la contrepartie d’une houleuse histoire technologique et industrielle que partagent nos deux pays. Lorsqu’il s’est agi de passer à la télévision couleur, au début des années 1960, la France et l’Allemagne prônaient chacune un standard différent : le SECAM et le PAL. La France, pour contenir l‘Allemagne, avait vendu le SECAM à l’Union soviétique (et à la RDA) ; l’Allemagne put gagner les Pays-Bas ou le Royaume-Uni ; le PAL s’imposa également en Italie, où les nouvelles chaînes commerciales, alors plus ou moins pirates, l’avaient adopté pour contrer les chaînes publiques et le SECAM choisi par le gouvernement. Cette « guerre des normes » avait été particulièrement acharnée. Pour pacifier la situation, la France et l’Allemagne décidèrent à partir de la fin des années 1970 d’oeuvrer désormais conjointement au développement de standards communs préfigurant la télévision du futur. On se mit d’accord sur une norme dénommée D2 Mac. Parallèlement, on développa conjointement une génération de satellites de télédiffusion (appelés TDF pour les deux français et TV SAT pour les deux allemands). Il s’agissait d’équipements lourds, disposant d’un nombre limité de transpondeurs (canaux). On décida alors de diffuser via ces satellites des chaînes dans le standard D2 Mac afin de le rendre attrayant pour les ménages des deux pays et ainsi créer un marché pour les nouveaux équipements de réception. Le fleuron de cette nouvelle technologie devait alors être ARTE.
Le projet échoua : les Länder ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur les chaînes à distribuer par ce satellite, les chaînes pressenties tardaient à manifester leur intérêt pour le D2 Mac (d’un intérêt limité pour le marché allemand, puisque le PAL permettait déjà la diffusion en stéréo ou en deux versions linguistiques, au choix, ce que ne permet pas le SECAM), face à ces hésitations, les producteurs d’équipement de réception préférèrent attendre et, à la suite d’une série d’avaries, les satellites furent abandonnés. Les satellites Astra, une autre génération, à plus grande capacité et nécessitant, surtout, des équipements de réception moins lourds, occupèrent le marché. Restait ARTE, constituée entre temps. La chaîne était destinée à être diffusée par satellite et câble. Mais il y avait un déséquilibre entre la couverture technique française (le câble balbutiait) et allemande (environ la moitié de la population était raccordée). Or Français et Allemands devaient pareillement y avoir accès. C’est ainsi que, lorsque l’une des chaînes commerciales historiques déclara faillite en France (La Cinq), le gouvernement français attribua son cinquième canal terrestre à ARTE, rééquilibrant ainsi sa couverture technique. Mais le concept de la chaîne est resté formaté pour une offre complémentaire, culturelle – sa vocation originelle. »
Extrait de : « MÉDIAS FRANÇAIS ET ALLEMANDS - Convergences et divergences dans le contexte européen » : cirac.u-cergy.fr