Comment dire non ? (à son patron, ou autres situations)

Cet article est consistué de deux extraits : le premier extrait sort du livre de Thomas d’Ansembourg ; le second extrait sort d’un des livres de Jacques Salomé (références en bas de chaque extrait).

Comment dire non ? (auteur : Thomas d’Ansembourg)

J’observe dans mon travail une raison récurrente à la difficulté si répandue de dire non : nous n’y avons pas été invités, nous n’avons pas été invités à être différents et à vivre avec aisance cette différence. Comme je l’évoque plus haut, nous avons davantage été invités à « faire de même », « reproduire de même », à être d’accord avec papa, maman, l’instituteur, les habitudes, la pratique religieuse, le milieu social ou professionnel : « Quand on est poli on dit oui ; une petite fille sage, un garçon raisonnable dit oui ; c’est pas beau de dire non ».

Ainsi, comme d’une part la différence (d’opinion, de caractère, d’attitude, de priorité, de sensibilité…) est vécue comme menaçante (voir le point 3), et que d’autre part l’obéissance a très longtemps été promue comme une valeur morale, nous avons souvent bien de la peine non seulement à dire non, mais à simplement constater que nous ne sommes pas d’accord.

Contrairement à une idée qui a imprégné la pédagogie pendant des générations, l’obéissance crée rarement des êtres responsables mais plutôt des automates. Elle est, de nouveau, l’expression à la fois de la méfiance et du doute quant à la faculté de l’autre de se responsabiliser, et de l’incapacité à rejoindre l’autre et à le comprendre ; comme nous ne parvenons pas à faire valoir notre besoin et à obtenir que l’autre le respecte, nous le lui imposons sans discuter et attendons qu’il obéisse !

Obéissance automatique ou adhésion responsable ?

Par conséquent, nous disons souvent oui « pour être gentil », alors que nous pensons non, et ce, la plupart du temps pour éviter un conflit : « Si je suis en conflit va-t-on encore m’aimer ? Est-ce que je reste aimable si je ne suis pas d’accord… » Ou bien nous disons non systématiquement, par rébellion, par peur de nous perdre, parce que c’est la seule façon que nous avons trouvé de prendre soin de nos besoins d’identité, de sécurité ou de reconnaissance : « Je m’oppose, donc j’existe. »

Apprendre à dire non est une étape que j’apprécie particulièrement parce qu’elle nous invite à travailler essentiellement quatre valeurs qui me tiennent à coeur :

  • le respect des sentiments et des besoins de l’autre comme des miens ;
  • l’autonomie nécessaire pour prendre le temps de vérifier ce que je ressens et ce que je veux ;
  • la responsabilité d’être à l’écoute des différents enjeux et de tenter de prendre soin de tous les besoins en cause ; pas seulement ceux de l’autre au détriment des miens, ni les miens au détriment de ceux de l’autre ;
  • la force de manifester mon désaccord et de proposer une solution ou une attitude peut-être tout à fait différente de celle que l’on me demande.

(…)

Derrière le non, à quoi disons-nous oui ?

C’est en nous exerçant dans des situations faciles que nous nous musclons pour être à même de dire non dans des cas plus difficiles… Arriver à dire non, à mettre ses limites dans le respect de l’autre, se fait d’autant plus facilement que nous acquérons force et souplesse dans notre façon de vivre nos besoins de confiance en nous, de sécurité intérieure, de reconnaissance, d’identité. Au fond, en travaillant à la connaissance de nous-mêmes, nous savons de mieux en mieux à quoi nous disons oui.

Il en résulte plus d’aisance à dire non de façon constructive et créative, ou à entendre le non de l’autre sans le prendre contre soi. Plutôt que de simplement dire non dans l’opposition, nous allons mettre notre attention et notre énergie dans ce à quoi nous disons oui. Voici quelques exemples ou l’expression du besoin indique à quoi nous disons oui.
« Non, je ne veux pas que tu écoutes de la musique maintenant. » Nous pourrions dire : « Oui, j’ai besoin de calme et souhaiterais que tu écoutes de la musique plus tard ou ailleurs. »
« Non, tu ne sortiras pas en boîte de nuit à ton âge. » Nous pourrions dire : « oui, j’ai besoin d’avoir confiance que tu puisses te sentir à l’aise et en sécurité quelles que soient les personnes avec qui tu te trouves et je voudrais construire cette confiance petit à petit avec toi en te proposant de participer d’abord à des sorties chez des gens que je connais et puis qu’on parle ensemble de la manière dont ça se passe pour toi. »
« Non, tu ne prendras plus la voiture. » Nous pourrions dire : « Oui, j’ai besoin d’être rassuré quant à ta conscience des risques et je souhaiterais que tu y réfléchisses quelques jours et qu’on en reparle avant d’envisager que tu reprennes le volant. »

En développant notre conscience « de ce à quoi nous disons oui », nous développons aussi notre conscience de ce à quoi l’autre dit oui quand il dit non. Cette ouverture de coeur est précieuse pour éviter la fâcheuse habitude qui consiste à prendre le refus de l’autre contre soi. Parce que si nous avons de la difficulté à dire non, par peur du rejet, nous pouvons du fait de la même peur du rejet, avoir de la difficulté à entendre un non : « On me dit non, donc on ne m’aime pas… »

C’est la même sécurité intérieure qui nous permet d’entendre un non sans douter, sans perdre confiance, et qui nous rend donc disponible pour écouter les sentiments et les besoins de l’autre derrière son attitude et chercher ce à quoi il dit oui.

J’ai peur des conflits

Derrière la peur des conflits, il y a presque toujours le besoin de sécurité affective. Comme il a déjà été rappelé, la question qui revient en filigrane est : « Puis-je encore être aimé si je suis en conflit, suis-je encore aimable si je ne suis pas d’accord ? » Je constate que pour les personnes qui se plaignent de cette peur, et elles sont nombreuses, le conflit a rarement été vécu comme une expérience enrichissante pour toutes les parties, une occasion satisfaisante de se connaître et de s’estimer mutuellement davantage… Il débouchait plutôt sur une impression d’échec, de tension mal gérée et mal digérée, un sentiment d’amertume, de confusion. On avait joué à « Qui a tort, qui a raison ? », décidé de « c’est la faute de qui », et tout cela ne s’est pratiquement jamais révélé satisfaisant.

La systémique, science des systèmes, nous apprend que tout système tend d’abord à se perpétuer, à se maintenir. C’est la loi de l’homéostasie. Dans un système comme la famille, le couple ou beaucoup d’autres relations, la différence et la divergence font peur parce qu’elles représentent le risque de compromettre le système en le déstabilisant. Face à cette peur, la tendance sera souvent de tenter de rétablir d’urgence l’unanimité soit par le contrôle, soit par la soumission. Ainsi, souvent, pour retrouver l’osmose familiale, conjugale ou autre, soit l’homéostasie de notre système, nous imposons nos solutions en contraignant tout le monde à être d’accord, ou nous nous soumettons d’emblée sans discuter. Il y a fuite ou agression, il n’y a pas rencontre.

Or, le conflit est souvent une occasion d’évolution. Il permet de travailler notre sécurité intérieure, notre autonomie et notre faculté d’écoute et d’empathie. Il nous invite à nous rencontrer nous-même davantage et à rencontrer l’autre, c’est-à-dire à développer à la fois force et souplesse intérieures. Il est l’occasion d’une croissance ensemble et une invitation à la créativité. Je crois que dans la peur du conflit se reflète encore la quête désespérée de l’approbation de l’autre. Si nous ne nous donnons pas à nous-même une appréciation mesurée, juste, nous risquons bien de passer notre vie à quêter désespérément auprès des autres une appréciation démesurée.

Extrait du livre : Cessez d’être gentil soyez vrai. Être avec les autres en restant soi-même de Thomas d’Ansembourg.

Voici le second extrait :

Refuser (auteur : Jacques Salomé)

Plus il m’est douloureux de recevoir un refus, plus il me sera difficile de refuser clairement une demande ou une proposition. Beaucoup de croyances irrationnelles gravitent autour de l’acte de refuser. Cela va détruire l’autre, détériorer la relation, provoquer une agression ou un rejet massif… Les refus clairs pourraient pourtant représenter dans toute relation des balises indispensables. Car, faute de balises, on risque de mettre des barrières, des murs faits de refus silencieux et de peurs secrètes.

J’en viendrai ainsi à éviter certaines personnes de peur qu’elles me fassent des demandes, de peur de me sentir obligé de faire ce que je n’ai pas envie de faire. Un grand refus indirect et voilé remplacera le refus localisé et précis que je n’ai pas su manifester.

Il y a trois ordres de refus :

  • Celui des actes que l’on me demande d’accomplir.
  • Celui des sentiments que les messages et les conduites des autres sont censés provoquer en moi.
  • Celui que je m’impose par anticipation des conséquences. Il peut rejoindre la répression et les systèmes d’autoprivation dans lesquels je m’enferme ou, au contraire, il peut manifester mon choix.

Que d’actes effectués à contrecoeur, en traînant les pieds, voire en sabotant le travail, faute d’avoir su soit refuser, soit énoncer la contrariété.

"Cela t’ennuierait-il de ma conduire à la gare ?

  • Non…" et je soupire en posant mon livre.
    J’aurais été plus à l’aise si j’avais répondu : « Oui, cela m’ennuie, je viens de m’installer pour lire, mais je vais te conduire. »

Le refus est encore plus difficile à énoncer lorsque l’autre jette sur moi ses sentiments de colère, de désespoir ou d’impuissance et tente de m’en rendre responsable.

« Tu n’as rien fait pour m’aider. »
« Tu n’étais pas là, alors… »

« Ta soeur est passée me voir dimanche dernier. Ca fait bien trois semaines que tu n’es pas venu me voir. »

Je risque alors de me laisser gagner par un sentiment de culpabilité ou d’insuffisance, au lieu de rendre à l’autre ce qui lui appartient, sa colère, son échec, sa passivité. Il faudra souvent beaucoup de temps, de clarifications personnes et de courage pour accéder à des réponses claires, blessantes peut-être, mais certainement structurantes.

« Je ne me sens pas responsable de ta souffrance. »
« Je vois bien ta colère, mais je ne me sens pas coupable de ne pas avoir pour toi les sentiments que tu espères. »
« Je comprend que tu sois déçu dans tes attentes, mais ce sont mes limites. »
« Ta menace de suicide, je te la rends, je ne peux rien en faire. »

Ainsi, il sera possible de renvoyer, de redonner à l’autre des messages qui ne nous appartiennent pas.

« Il m’arrive de retourner à son expéditeur une lettre, une partie de lettre dans laquelle je sens massivement les projections de l’autre, et dans laquelle son discours m’enferme et me pollue.
J’ai dévouvert que je peux ne pas garder ce qui n’est pas bon pour moi, qu’il n’est pas nécessaire de me faire souffrir en conservant les pensées négatives ou les sentiments violents de l’autre.
Depuis quelques années, je peux également renvoyer des appels téléphoniques dont la visée manifeste était de me culpabiliser ou de me dévaloriser.
J’ai appris à dire oui en osant dire non. J’ai mis trop longtemps à découvrir le non. »
Dire non, c’était mauvais, méchant, non aimable, non susceptible d’être aimé…
Et puis je voulais à tout prix faire plaisir à l’autre, le combler, lui montrer qu’il comptait beaucoup pour moi.

Par le refus, par le non, j’ouvre la porte à la différenciation et je me définis ainsi comme unique et responsable.

« Moi seul sais ce que j’éprouve. »
« Non, je n’ai pas aimé ce film, j’ai trouvé quelques scènes très belles, mais l’ensemble m’a paru confus et trop mélodramatique. »
« Non, je n’ai pas les mêmes sentiments que toi pour ta mère ; moi, je l’apprécie pour sa rigueur ; c’est net, sans confusion possible. Sa position dans la vie me convient bien… mais j’entends que pour toi il en est autrement. »

Il n’est pas aisé de distinguer dans nos conduites le refus d’opposition du refus d’affirmation. Il est préférable que mon refus dépasse le réactionnel pour s’inscrire dans le relationnel d’un échange.

Extrait du livre : Si je m’écoutais… je m’entendrais de Jacques Salomé et Sylvie Galland.

Merci Gaston, au fait, pour ces articles. J’ai enfin fini de les lire, je médite… :wink:

J’ai trouvé hier par hasard chez mon frère un livre de Thomas d’Ansembourg, donc j’ai sauté dessus ! :smiley:
C’est pas le même que celui dont tu as parlé, c’est Cessez d’être gentil, soyez vrai, mais ça m’a semblé intéressant aussi. Je t’en dirai des nouvelles. :wink:

Avec grand plaisir ! :clap:
J’espère que tu ne seras pas déçue car j’aime bien sa façon d’écrire et d’aborder les sujets. Donc espérons que toi aussi cela te plaise.