Bonsoir, jeunes gens
Si je suis hors sujet, faites le moi savoir; mais ça devrait passer, ça parle de musique à la fin.
Un samedi de janvier 1967, dans le Palatinat, je suis dans ma chambre à la caserne et je regarde tomber la neige du soir. Des grèves en France nous privent de courrier et j’ai un gros coup de blues . Que faire ? Y en a marre de la cuisine du mess , je vais donc m’offrir un repas du soir dans un Gashtaus de la bonne ville de N. En ville, près de la place où se tient le Fête du vin il y a un Gasthaus dont j’ai oublié le nom mais que j’ai revu lors d’un pèlerinage en 2007.
Habillé en civil, costume-cravate, propre sur moi , je pousse la porte et tombe sur une salle déserte ; le patron me regarde et m’installe du regard à une table en coin. Je suis déjà venu et a peine suis je assis qu’il va mettre un panneau « Geschlossen » sur la porte. Un clocher sonne 19h30. Ce soir, on ne mange pas avant 20h00, alors je prends le journal local, demande un verre de vin blanc pour tuer le temps . Dehors, Die Luft ist kühl (carrément kalt) et ça dunkelt déjà bien. Comme j’ai oublié mes gauloises, je vais vers l’automat qui me donne un paquet de « main rouge » (Roth-Händle). Commence alors une sorte de veillée funèbre de première classe , quand soudain , vers 19h45, branle bas de combat.
Vous connaissez les nuages de sauterelles qui s’abattent sur une oasis ? Un peu pareil ; 40 gus et leurs épouses (entre 45 et 60 ans ) qui font une irruption bruyante. les Dames sont dirigées par la patronne vers une salle annexe, les Hommes commencent de mettre les tables bout à bout, certains vont chercher des instruments de musique, ça se tape dans le dos, heureux de se retrouver, ça parle fort . A 20h pétantes arrive le dernier, probablement le chef, celui à qui ils avaient gardé la place en bout de table.
Lisant mon journal, je ne capte rien du discours à part « Freundschaft » qui revient une bonne dizaine de fois. Le patron fait passer les assiettes, les verres et des bouteilles de vin blanc . On sent les garçons organisés : 1 bouteille pour 4, ça économise les pas du taulier. Un gars se lève et distribue à ses copains des feuilles de papier , 5 ou 6 par personne. Comme il avait du rab il m’en dépose une poignée après m’avoir salué d’un sonore « Guten Abend » auquel je réponds par un « danke schön » standard.
Sur chaque feuillet, des paroles de chansons . Ils se lèvent, boivent un coup " à la Fraternité" et enchainent sur le 1° morceau « Im Frühtau zu Berge ». Et là, je manque d’avaler de travers mon Schinkenbrot. Mais je la connais cette musique !!! dans mon coin, je fredonne les paroles que j’ai sous les yeux. A la fin ils se lèvent, reboivent un coup (Freundschaft) et attaquent : "der Mächstigste König im Luftrevier ". Je regarde dans les coins si ce n’est pas un gag genre caméra invisible, mais là aussi, je connais la musique avec des paroles françaises. Je m’enhardis à chanter encore . Fin de la chanson, debout, boire un verre,(Freundschaft) .
C’est là que les choses se corsent ; un type du bout de la table se lève, s’approche de ma table et me dit en gros que je serais aussi bien à chanter avec eux, manger et boire avec eux, on a déjà ajouté une chaise en bout, près du « chef » . Bon, coincé pour coincé, je prends mes affaires et je déménage . On me fait asseoir et avant toutes choses, je salue le groupe par un « bonsoir messieurs » en allemand et je demande au patron de ramener une bouteille de vin blanc pour 4, manière de ne pas passer pour un mal élevé. Le chef me remercie, se lève, me fait lever et me demande à quoi nous buvons : je laisse tomber un vibrant « Freundschaft!! » . On rechante, "Vom Baret schwangt die Feder ", on se lève , on boit … mais entre temps, on discute de choses et d’autres, de la neige, de Noël passé, "On finit par attaquer « Westerwaldlied » , musique bien connue et vers la fin du repas, on arrive à « Ich hatt » einen Kameraden " . Là, je les ai battus au sprint, je me suis levé le premier. On arrivait au dessert.
C’est là que le chef se penche vers moi et me dit :
- Puis je vous poser une question?
- Naturellement .
- de quel coin d’Allemagne êtes vous ? Vous mélangez des tournures qu’utilisait ma grand-mère avec des tournures qu’emploient mes petits enfants.C’est curieux et amusant…
J’ai du avouer que l’enseignement de l’Allemand en France se faisait avec des auteurs anciens et que les après midi que je passais chez Aldo , le café glacier italien faisaient le reste avec des Allemands et Allemandes de mon âge. Et que j’étais en garnison dans la belle ville de N.
La nouvelle fit le tour de la table et je vis alterner une profonde consternation suivie à chaque fois d’un colossal éclat de rire . On a rigolé, on m’a tapé dans le dos et on a bu à une Freundschaft franco-allemande.
Après, je crois qu’ils m’on fait boire plus que de raison (Freunschaft) , j’ai eu un bon mal de crâne le dimanche matin, mais vite évacué par 5 tours de stade . J’étais tombé sur des anciens d’un régiment de reserve qui fetaient leurs retrouvailles annuelles. Ils avaient visité la France entre 1941 et 1944 mais n’étaient pas rancuniers, ce sont eux qui m’ont ramené à la caserne.
Pour revenir au titre, « Musique sous l’uniforme » , il faut se souvenir qu’après guerre, la Légion Etrangère hérita d’un fort contingent de germanophones . Pour ne pas casser l’ambiance, la plus part des chants allemands populaires ou militaires furent adaptés . Ce qui nous donne les correspondances suivantes :
Westerwaldlied → Etre et durer
Vom Baret schwangt die Feder → Amitié , liberté (devenu un chant scout)
Im Frühtau zu Berge → Les Lansquenets
der Mächstigste König im Luftrevier → Debout les paras
Die blauen Dragoner → Souvenirs qui passent
Das Engelandlied → Ho ! la fille…
etc…(1)
Des chants comme ça, mais civils ou militaire il en existe des paquets . Déjà, une colistière avait évoqué l’Allemagne qui exportait sa musique avec « Viens poupoule " et son pendant allemand.
En 1932, Mayol chantait « la Matchiche » et en 1968 Gerd Böttcher chantait " Der Gassehauer » . Le temps ne suspend pas son vol.
Cordial-gentiment
bernard
(1) après le putsch en Algérie, certains de ces chants furent récupérés par l’extrème droite française et interdit dans les casernes . Je pense au "Panzerlied " qui se retrouva « La rue appartient … »