A voir ce soir à 21 h 45 sur ARD (1ère chaine allde) le film « Eichmanns Ende. »
Ce film trace un portrait de l’organisateur des transports de juifs, qui était toute autre chose qu’un bureaucrate zélé.
1957, soit 7 années après avoir fui l’Allemagne pour gagner l’Argentine, il rencontre 4 années durant , la plupart du temps le dimanche, le journaliste hollandais Willem Sassen.
L’ancien Obersturmbahnführer SS Adolf Eichmann et l’ancien Untersturmführer SS hollandais Sassen se rencontrent, boivent du whisky, fument le cigare et évoquent « le bon temps ».
Lors du procès d 'Eichmann en Israël, ces entretiens avec le journaliste hollandais serviront de documents de base pour le procès.
Une phrase qui vous glace le sang:
« Nous n’avons pas fait correctement notre travail » déclare Eichmann avec de l’amertume dans la voix.« Il y avait 10,3 millions de juifs en Europe dans les années 30 et ce n’est que si nous les avions tous exterminés que je me serais estimé satisfait et que j’aurais pu dire; bon, nous avons anéanti un ennemi. »
Il s’agit d’un documentaire dramatisé (Dokudrama); Ulrich Tukur est Willem Sassen et Herbert Knaup, Adolf Eichmann.
Sur le site de l’ARD;
http://www.ndr.de/kultur/film/ndr_produktionen/eichmann100.html
Ce programme était excellent. Il ressort que Von Sassen était lui-même nazi convaincu, mais cherchait après la guerre à nier tout génocide. Eichmann était au contraire très soucieux de bien remettre les faits, avec un vision administrative d’une froideur sans égal. L’explication que donne Eichmann est tellement simple qu’elle fait encore plus peur : il prétend avoir simplement défendu sa nation (il dit toujours « Reich ») contre ses ennemis. Ce simple raisonnement en noir et blanc montre qu’il croyait tout simplement à la propagande nazi et était absolument incapable de toute distance intellectuelle. Von Sassen le méprisait car Eichmann était trop médiocre et sans aucune conscience philosophique ou politique et incapable de mener un discussion idéologique. Bref, l’affreuse conclusion est qu’il était assez limité intellectuellement mais incroyablement talentueux pour l’organisation des transports. Son absence totale de conscience l’a fait pencher du mauvais côté. Le mal dont il peut être question, c’est que l’absence d’esprit critique poussée à son paroxisme fait des hommes complètement dépourvus de sens éthique et de tout raisonnement. Il appliquait les simplissimes sillogismes de la propagande sans s’être jamais demandé ce qu’il faisait vraiment.
Tout aussi interessant, à mes yeux, l’attitude des Allemands. Bauer, le procureur général de Francfort, a déclaré au peu de gens qui voulaient l’entendre à l’époque, que la justice allemande des années 50 était totalement incapable de faire face à Eichmann. Il y avait trop d’anciens du parti dans les administrations et les tribunaux, et même un certain Göpke au gouvernement. Jamais Bauer n’a fait confiance en l’Allemagne pour juger les nazis juste après la guerre. Il révèle aussi que les alliés n’ont pas du tout chercher non plus. Au contraire, tout le monde était trop content que ces anciens nazis plus ou moins importants soient d’excellents ennemis du communisme. Le raisonnement est cynique : pour être sûr de ne pas avoir d’espions de l’est aux postes clés, il suffit de prendre un ancien nazi, comme ça, on est sûr qu’il n’ira jamais aider le bloc de l’est. Du coup, Bauer, lui-même juif, a tout de suite compris que c’était mieux pour tout le monde que le procès Eichmann ait lieu en Israel, et il a trouvé les mots pour convaincre Adenauer (ce qui n’a pas dû être difficile). L’Allemagne laissait le mossad prendre Eichmann sans protester à la condition expresse que le nom de Göpke ne soit jamais cité lors du procès. Les Israëliens ont tenu parole. Personne n’a jamais demandé de noms à Eichmann non plus. Il est allé seul à la mort, trop fier et trop fanatique pour comprendre qu’il aurait pu alors mettre le feu à toute l’Allemagne en donnant simplement quelques noms et quelques détails sur leurs actes.
En conclusion, il est impossible de déterminer si Eichmann était un antisémite par racisme ou bien s’il était un nationaliste aveuglé par sa bêtise se donnant corps et âme mais sans la moidre trace d’esprit à un pouvoir raciste, devenant par là-même le plus raciste de tous, car incapable de faire la différence entre un transport d’êtres humains et quelque autre marchandise. Il avait déshumanisé les « ennemis du Reich » à un tel point que seuls ceux de son camp, dans le combat guerrier, avait à ses yeux le droit de rester en vie. On lui parle des Juifs, il répond qu’il aurait voulu les exterminer tous, mais il aurait aussi voulu exterminer tous ceux que la propagande désignait comme ennemis.
Eichmann était aussi coupable d’avoir agi que de n’avoir pas pensé.