De retour de vacances de Pâques, on partage ses découvertes avec qui veut bien écouter. Je prends donc mon petit paquet de souvenirs linguistiques et je vous montre à quoi ressemble un petit texte en Halunder, langue d’Allemagne qui n’attire pas les foules, mais bon, on est là pour tout savoir sur l’Allemagne alors ce soir, ce matin, aujourd’hui, on s’intéresse à un petit coin de roche rouge au milieu de nulle part:
Deät Lun bestunt it tau Deeln: deät Bopperlun en deät Deelerlun. Bedeeln en boppen sen Hiisder. Twesken 'e Hiisder loop de Stroaten en de Goater. De Lung Wai en de Boan sen bedeeln. De Steanakker en de Fallem sen boppen. Fan’e Fallem has 'e en faini Itsech oawer 't Deelerlun en de Hallem. Wets 'e no uurs Neemen fan de Stoaten iip Lun? Sen dja boppen uuder bedeeln?
Fan’t Deelerlun gungt de Berri noa’t Bopperlun. Di kans de Berriger henboppen en hendeel loop. Bi de Berri es de Wüp. Di kans uk hendeel en henboppen wüppe.
Bedeeln bi Strun es de Bräi. Dear keem aal de Fremmen uun 'e Wal, wan da itbooatet wür. De Rudders lai bi de Bräi. Wan 'e iip 'e Bräipint stuns, kans 'e de Damper feer diin Oogen lain si.
Na, vous reconnaissez quelques mots? C’est pas gagné d’avance, le frison, hein?
Halunder: Deät Lun bestunt it tau Deeln Bas-allemand: Dat Lann besteiht ut twee Delen Haut-allemand: Das Land besteht aus zwei Teilen
Fan’e Fallem has 'e en faini Itsech oawer 't Deelerlun en de Hallem
Vun de Falm heffste een fiene Utsicht over dat Dalenland un de Düne.
Vom Falm aus hast du eine feine Aussicht über das Unterland und die Düne.
Bedeeln bi Strun es de Bräi. Dear keem aal de Fremmen uun 'e Wal, wan da itbooatet wür
Dalen bi Strann is de (Lannungs)bru. Da komen all de Fremden an’t lann, wenn se utbootet wörrn.
Unten beim Strand ist die (Landungs)Brücke. Da kommen all die Fremden ans Land wenn sie ausgebootet werden.
Merci pour cette intêressante info, Elie. J’ignorais qu’il existât un dialecte frison propre à Helgoland.
Après recherches le « Halunder » est encore parlé par 1/3 des 1500 habitants de l’île et , on s’en serait douté, menacé de disparition.
Pour ceux qui, comme moi, veulent savoir, wie es sich anhört :
Petit article de journal intitulé :Halunder für Anfänger
Au fait, connait-on l’origine du terme :« Halunder » ? Rien à voir avec « Holunder », je suppose .
Halunder vient de Helgoländer, mais l’allemand préfère Helgoländisch pour la langue.
Ha- reste de halig/helig
lun- c’est das Land, le petit nom de l’île dans la langue locale
Helgoland = das heilige Land. Pas d’explication claire du nom… on l’interprète un peu comme on veut, car le nom est ancien et ses origines sont perdues. Les petites histoires populaires ont fait le reste. Disons que l’idée d’une terre où on peut sauver sa peau en cas de grosse mer dans le coin semble faire partie des explications les plus répandues.
Le halunder est un dialecte du frison du nord, dans la lignée de celui de Föhr et Amrum. C’est dialectalement très morcelé et le nombre réduit de locuteurs s’ajoute à l’isolement. La moitié des enfants de l’école de l’île ne le parle pas à la maison. Depuis que l’Allemagne a ratifié la charte européenne des langues minoritaires, il y a un vrai effort de respect de la langue et des dialectes frisons dans le Schleswig-Holstein. Le Land montre une certaine bonne volonté, mais ça ne lui coute pas grand chose de rajouter quelques panneaux bilingues ou de simplement préférer une institutrice locale pour l’école. Mais il y a un vrai respect pour le Frison maintenant, ce qui n’était pas du tout le cas il y a vingt ans.
La jeunesse part sur le continent pour trouver du travail, car sur l’île, il n’y a que les biologistes et le tourisme. Le parc éolien qui va se construire ne profite pas vraiment aux locaux car les compétences techniques requises font que seuls des spécialistes qualifiés sont concernés. La bataille pour loger ces nouveaux ingénieurs et techniciens fait rage… ils prennent des lits au tourisme et l’île perdra son meilleur hôtel l’année prochaine, il a été entièrement loué pour dix ans par une entreprise éolienne.
Wow merci Elie, très intéressant !
J’ai une question bête (qui me semble d’autant plus bête qu’Helogoland est une île), mais sait-on jamais… Le Halunder est-il plus proche du néerlandais ? En lisant ton texte, on voir bien que ce n’est pas du néerlandais, mais on se demande si un Néerlandais ne s’y retrouverait pas mieux qu’un Allemand ?
Ce n’est pas proche du néerlandais du tout. Mais alors pas du tout. Ce que tu vois, c’est un air de famille des langues germaniques de la côte. Ceci est renforcé par l’influence du bas-allemand sur le halunder, avec des emprunts assez variés, comme Boan (Bahn comme dans Reeperbahn), Fremmen, Rudder, Damper… Du coup, ce côté bas-allemand te rappelle le néerlandais.
Mais en fait, le frison est une branche assez particulière qui a dû se séparer assez tôt du bas-saxon. Les Frisons et les Angles qui trainaient dans le Holstein actuel (avant le grand déménagement des Anglois) devaient parler à peu près la même chose. Le vieil anglais et le vieux frison ont des phénomènes phonologiques en commun:
la Brechung anglo-frisonne. Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi les Anglais s’embêtaient à écrire des « ea » et « ie » alors qu’ils n’en ont phonétiquement pas besoin? C’est la Brechung. Dans le petit texte ci-dessus, on la trouve dans Steanakker).
la palatalisation. Les dj et les ai/äi du frison en témoignent (dja = die et Wai = Weg, Bräi = Brücke).
Il faut rajouter des changements vocaliques particuliers et assez poussés qui diffèrent totalement du conservatisme phonétique du bas-saxon. Souvent, on a des correspondances assez régulières:
Bas-allemand / frison
aa / uu
an / un
oo /ee
üü /ii
o / u
aa / oa
ün / en
öö / ee
u / i
apocope des terminaisons. Les verbes infinitifs ont perdu leur terminaison dans les deux langues et les terminaisons personnelles sont réduites. Ici, on a -s pour le -st d’origine à la 2e pers. du singulier et l’infinitif loop (laufen) et si (sehen).
Si je te suis Elie, ça veut dire qu’une personne comme toi qui connait plusieurs langues, plusieurs dialectes régionaux,
et qui donc a l’habitude de jongler entre les différences linguistiques, est donc aussi perdue que moi face à ce frison sorti de Helgoland ???
ben zut alors !!! y’a même aucune ressemblance avec le platdeutsch du secteur de la Basse-Saxe (de ceux qui « Moin-Moin » le matin… )… ???
Ca tombe à pic, j’ai lu pas mal d’articles au sujet d’Helgoland en ce moment, ça m’intéresse…
J’aurais pensé que leur langue locale aurait plus d’influences anglaises, car l’île a appartenu à la Grande Bretagne un certain moment non?
Helgoland a toujours gardé une école de langue allemande. L’allemand a toujours été la langue d’alphabétisation, même à l’époque danoise. Les Anglais n’ont pas eu leur mot à dire. En fait, ils ne sont restés anglais qu’entre Napoléon et Bismarck, ce qui fait à peine 60 ans. Et les Anglais… comment dire… je ne voudrais pas être méchant… quoique… si… en fait… ont été assez idiots. Ils n’ont pas du tout intégré l’île au royaume, n’ont rien fait pour eux et les ont même franchement emmerdés pendant un an ou deux jusqu’à ce que l’île s’avère utile pour contourner le blocus continental de Napoléon. La contrebande généralisée a alors rendu tout le monde très prospère.
Par contre, le désir de faire partie du même pays que les autres Frisons du nord a toujours été plus grand que tout. On ne peut pas dire qu’ils aient profité d’avoir été Allemands, mais c’est leur place et ils y tiennent. Ils sont liés culturellement aux autres îles de la côte du Schleswig-Holstein. Bismarck les a laissé tranquilles. Il y a bien eu la forteresse militaire pendant la première mondiale déjà, mais pas de bataille en vue pour cette fois. La population avait quand même été évacuée.
C’est la seconde guerre mondiale qui a tout bouleversé. Les nazis voulaient en faire une base navale avec notamment une bonne rangée de sous-marins et autres canons flottants. Ils n’ont pas eu le temps de construire l’immense projet Hummerschere (pince de crabe) avec un immense port militaire plus grand que le territoire de l’île. Bref, ce fut une gigantesque bataille navale pendant toute la guerre. L’évacuation de tout le monde était une question de vie ou de mort. Cible militaire, les Anglais bombardaient tout. La population civile était le dernier de leurs soucis. Tout a été détruit, sauf une tour, le grand phare. On voit encore les cratères des bombes. Les bunkers dans le rocher sont encore pratiquement intacts, surtout qu’ils ont été restaurés pour cause de guerre froide dans les années 60.
Le retour fut un combat. Les forces d’occupation refusèrent de reconstruire quoi que ce soit. Les Anglais voulaient en fait en faire une zone militaire d’occupation. Mais quelques jeunes allumés ont pris un bateau et sont allé planter un drapeau allemand sur Helgoland au début des années 50. C’est le gouvernement allemand qui a autorisé le retour, les familles sont toutes revenues, même si certains de leurs membres sont restés sur le continent. Le coup a été dur pour la langue. Peu à peu, le statut hors taxation et autre Zollfreiheit ont permis de faire vivre une petite économie rapidement. Le tourisme a fait le reste au fil du temps. Les familles de l’île ont eu le droit de retrouver leur terrain, les maisons sont toutes des années 50, intactes, préservées et inscrites aux monuments historiques… pas vraiment pour l’esthétique, pour le contexte plutôt.
L’île est très allemande, très frisonne, c’est le lien culturel avec les autres Frisons qui a toujours prévalu.
Intéressant! J’ignorais que Helgoland a été évacuée pendant la guerre. Faut dire qu’on ne parle jamais de cette île au statut particulier, même ici en Allemagne…
Ca m’intrigue encore plus maintenant, on va voir si je peux y faire un tour ces prochains mois…