Hannah Arendt, penser passionnément
Une philosophe allemande dans le « terrible XXè siècle »
C’est toujours avec beaucoup d’émotions que j’évoque la vie et l’œuvre d’Hannah Arendt qui a marqué de son empreinte la philosophie allemande du XXè siècle.
Elle ne se désignait pas elle-même comme philosophe, mais plutôt d’après sa profession : professeur de théorie politique.
Ses ouvrages sur le phénomène totalitaire sont étudiés dans le monde entier et sa pensée politique et philosophique occupe une place importante dans la réflexion contemporaine. Ses livres les plus célèbres sont Les Origines du totalitarisme , Condition de l’homme moderne et La Crise de la culture. Son livre Eichmann à Jérusalem, publié suite au procès d’Eichmann en 1961, a suscité controverses et polémiques.
Elle est née à Hanovre en 1906. Ses parents étaient des Juifs laïcs. Son père de santé fragile meurt en 1913.
En 1924, après avoir passé son Abitur elle étudie la philosophie, la théologie et la philologie classique dans plusieurs universités dont celle d’Heidelberg. En 1925 elle suit les cours du très grand philosophe Heidegger dont elle deviendra la maîtresse. Cette rencontre est un évènement majeur de sa vie, tant sur le plan intellectuel que sentimental. Elle est très jeune et voue une grande admiration à son maître, de dix-sept ans son aîné. Celui-ci, pourtant habitué à conquérir ses étudiantes, tombe sous le charme. C’est le début d’une relation secrète, passionnée et irraisonnée, qui laissera des traces chez Hannah toute sa vie. Après avoir interrompu leur relation, elle poursuit ses études à Fribourg-en-Brisgau. Par-delà la guerre et l’exil, elle en sera toujours l’infatigable promoteur de sa pensé.
En 1929, elle épouse Günther Stern un jeune philosophe allemand rencontré dans le milieu universitaire. Elle est arrêtée brièvement par la Gestapo en 1933 mais relâchée faute de preuve.
Cette même année elle quitte l’Allemagne pour la France où elle participe à l’accueil des réfugiés fuyant le nazisme. Divorcée en 1937, elle se remarie en 1940.
A la suite de l’avancée rapide de la Wehrmacht elle est internée au camp de Gurs avec d’autres apatrides. Elle parvient à fuir la France en gagnant les Etats-Unis d’Amérique via l’Espagne et le Portugal grâce au Centre américain d’Urgence de Varian Fry (qui sauva de nombreux intellectuels et scientifiques). Elle s’installe à New York avec son mari et sa mère où elle vie dans un dénuement total.
Après la Seconde Guerre mondiale, elle retourne en Allemagne où elle travaille pour une association d’aide aux rescapés juifs. Elle reprend contact avec Heidegger, témoignant en faveur du philosophe lors de son procès en dénazification. (il est aujourd’hui certain que Heidegger, loin d’être un suiveur a, au contraire saisie rapidement la finalité du nazisme. De plus Annah Arendt soutient qu’il n’a jamais lu Mein Kamft ce qui est totalement impossible)
En 1951 elle entame une carrière universitaire comme conférencière et professeur dans diverses universités américaine. La même année elle publie son œuvre majeur Les Origines du totalitarisme.
En 1961 elle couvre à Jérusalem le procès d’Adolf Eichmann, en qui elle voit l’incarnation de la « banalité du mal ». À partir de 1963, elle devient titulaire de la chaire de science politique à l’université de Chicago, avant d’être nommée professeur à la New School for Social Research en 1967. Elle meurt brusquement le 4 décembre 1975 à New York.
Les origines du totalitarisme œuvre fondamentale.
Les trois tomes des Origines du totalitarisme se présentent comme trois études juxtaposées sans rapports évident entre elles :
Livre I L’antisémitisme
Hannah Arendt y procède à une histoire politique et sociale des juifs depuis le XVIIIème siècle.
Livre II L’impérialisme.
Le livre raconte l’histoire de la désintégration de l’État-Nation et montre ainsi les conditions nécessaires à l’émergence des mouvements et gouvernements totalitaires.
L’impérialisme colonial est la recherche de l’expansion pour l’expansion, pour des motifs non pas politiques mais économiques. L’État-Nation est alors en péril car, dépassant ses frontières, il néglige les intérêts nationaux. Apparaissent des fonctionnaires de la violence présentant la violence et le pouvoir comme étant les buts du corps politique. La conscience nationale se pervertit en conscience raciale.
Livre III Le système totalitaire (le plus important à mes yeux)
Il s’agit de penser " l’essence du totalitarisme " qui est un phénomène historique sans précédent qu’on ne peut penser avec les anciennes catégories que sont la tyrannie, le despotisme ou la dictature. Il ne s’agit pas d’un degré supérieur de despotisme mais d’un régime original qui ne se laisse pas réduire aux abolitions classiques de la liberté politique.
Le totalitarisme se caractérise d’abord par le phénomène des masses.
Le tyran rend impossible la parole dans l’espace public mais il laisse les hommes dans l’espace privé. Le totalitarisme attaque la vie privée elle-même. L’individu n’est pas seulement isolé mais il n’a plus de consistance interne, perd son moi. La désolation est l’expérience d’être indifférent aux autres, expérience devenue massive dans le système totalitaire.
En dictature, on tue les opposants et la mort garde un sens. Dans le totalitarisme, la mort peut frapper tout le monde. Le camp de concentration est l’institution centrale en matière d’organisation du système totalitaire. Il a une importance décisive. On y discerne un " mal radical " mettant en jeu " la nature humaine " elle-même. Il est à la fois un phénomène radicalement nouveau et un défi au sens commun. Il s’agit d’une réalité incompréhensible, inaccessible où on passe du " tout est permis " au " tout est possible ".
Originalité fondamentale de la pensée d’Hannah Arendt : La banalité du mal.
Elle estime qu’Eichmann, loin d’être le monstre sanguinaire qu’on a décrit, est un homme tristement banal, un petit fonctionnaire ambitieux et zélé, entièrement soumis à l’autorité, incapable de distinguer le bien du mal. Eichmann croit accomplir un devoir, il suit les consignes et cesse de penser. C’est ce phénomène qu’Arendt décrit comme la banalité du mal. Il ne s’agit pas de le disculper : pour Arendt, cette attitude est impardonnable, et Eichmann est coupable. Ce concept pose des questions essentielles sur la nature humaine : l’inhumain se loge en chacun de nous. Dans un régime totalitaire, ceux qui choisissent d’accomplir les activités les plus monstrueuses ne sont pas si différents de nous. Continuer à « penser » (c’est-à-dire s’interroger sur soi, sur ses actes, sur la norme) est la condition pour ne pas sombrer dans cette banalité du mal ou encore dans la « crise de la culture ». Dans un régime totalitaire, cela est rendu plus difficile par l’idéologie, la propagande et la répression.
En quoi la pensée d’Hannah Arendt reste d’une actualité brûlante dans la société contemporaine.
Dans le cadre d’une société démocratique nous pensons être préservé de la pensée totalitaire. Or il n’en ait rien. En effet les techniques de manipulation des groupes humains misent au point il y 70 ans peuvent parfaitement s’appliquer à une société démocratique. D’ailleurs elles sont largement utilisées en marketing pour favoriser l’acte d’achat.
De plus il apparaît que pour beaucoup d’êtres humains la liberté est un fardeau car être libre c’est choisir (et donc renoncer). C’est exercer son libre-arbitre. Cette faculté de choix peut être perçu comme une souffrance