J’avais , il y a des siècles , au programme de la licence de littérature allemande, le « Romanzero » du grand Heinrich Heine.
Il y a toujours un poème à propos duquel je me suis posé des questions , sans y trouver de réponses satisfaisantes ; il s’agit de "zwei Ritter = deux chevaliers " qui commence ainsi :
Première strophe :
Dernière strophe :
Des noms allemands « polonisés ». Ce poème m’a toujours fait marrer bien que je n’en connaisse pas la signification profonde.
J’ai toujours adoré l’humour et l’ironie de Heinrich. Je ne pense pas qu’il ait été polonophobe, alors j’aimerais bien comprendre ce que le poète a voulu exprimer sur le fond.
Comme on a la chance d’avoir des spécialistes des relations germano-polonaises J’en profite pour poser cette question.
Merci d’avance pour vos réponses.
Je me coucherai moins bête ce soir.
La Pologne était alors à la mode. La Pologne rayée de la carte après trois partages voulait reconquérir son indépendance. C’était aussi l’époque des révoltes, dans les Balkans et en Grèce, contre le joug ottoman (voir Byron, Hugo). Les Polonais étaient soutenus surtout par les Français, et, en Allemagne, par les milieux révolutionnaires, qui reprenaient à leur compte les idéaux de la Révolution, surtout en Rhénanie, où la Révolution et ses successeurs n’avaient pas laissé que du mauvais (inspiration de la législation, par exemple), et, en 1848, dans le pays de Bade. L’année 1830 fut l’année des premières insurrections, en France et en Pologne notamment. Quiconque se proclamait un tant soit peu libéral avait à coeur de soutenir l’insurrection polonaise (la première insurrection, conduite par le général Kosciuszko, avait eu lieu en 1794 contre le deuxième partage de la Pologne, et s’était terminée par le troisième partage en 1795, définitif celui-là jusqu’au 11 novembre 1918.). L’insurrection polonaise de 1830 est dite aussi « Guerre Russo-Polonaise », et avait culminé par la bataille d’Ostrolenka en mai 1831. La Pologne défaite avait replongé sous le joug russe, perdant toute autonomie. La fameuse phrase « L’ordre règne à Varsovie » entérinait cet état de fait.
Peut-être se rappelera-t-on du livre de la Comtesse de Ségur, « Les deux nigauds », qui raconte l’histoire de deux jeunes provinciaux montés de la Basse-Bretagne à Paris et qui sont dépannés de situations fâcheuses par deux militaires polonais réfugiés en France où ils vivent misérablement (un peu comme nos deux chevaliers d’infortune chez Heine).
Dans le poème cité, on remarquera le vers devenu proverbial en allemand « Polen ist noch nicht verloren » (la Pologne n’est pas encore morte (tant que nous vivons)). C’est le premier vers de l’hymne polonais, à l’origine le chant des légions polonaises en Italie (1797, après le partage de la Pologne), dit « Mazurka de Dombrowski ». (la version première disait "La Pologne n’est pas encore morte, Jeszcze Polska nie umarła, tandis que la version « hymne » dit "La Pologne ne s’est pas encore courbée, Jeszcze Polska nie zginęła)
En fait, le poète se moque gentiment, comme le faisait du reste la Comtesse de Ségur, de deux braves types, à la fois Don Quichotte et Sancho Pança, chevaliers par leurs idéaux et leurs combats, et pauvres types dans la dèche, recourant à des expédients plus ou moins avouables pour simplement survivre. On appréciera le « Crapülinski », en français dans le texte, accolé à « Waschlapski », la serpillière. On retrouvera plus tard ces types dans les camps de concentration nazis, entre autres. La noblesse et la veulerie. « Il faut bien vivre puisqu’on ne meurt pas », disait Cavanna à la fin des « Russkoffs ».
et dire que j’ai failli laisser passer ce beau fil!!!. Je ne suis pas une spécialiste du domaine, mais simplement quelqu’un qui a la chance incroyable de pouvoir étudier l’histoire de la Pologne et découvrir la Pologne et sa langue… avec justement des spécialistes, à la tête bien faite comme mes chers professeurs, Messieurs Werner Benecke et Tomasz Rajewicz
Heinrich Heine polonophobe non,? non bien-sûr, bien au contraire. Il était animé du même esprit de liberté que les jeunes poètes polonais, un grand romantique. Je me demande même s’il ne connaissait pas le grand poète polonais Adam Mickiewicz, puisqu’ils avaient tous deux choisi de s’exiler à Paris… A vérifier!
J’aurais plutôt tendance à dire qu’il aurait été germanophobe, ou plutôt " prussophobe", justement par ce que animé de cet esprit de liberté des peuples… Enfin je réagis sur le vif.
Merci pour toutes ces explications . Je dois avouer que ce poème m’avait toujours amusé par sa forme sans que je sache vraiment ce que Heinrich voulait exprimer sur le fond.
Maintenant , je sais , comme disait Jean Gabin.
C’est clair comme l’a noté Michelmau Heinrich Heine avait un sens de l’humour assez particulier… Chose que d’ailleurs avait souligné le compositeur et patriote polonais Frédéric Chopin, un grand ami de Heinrich Hiene dans une lettre parmi les nombreuses qu’il a écrite à son ‹ amante "George Sand. Heinrich Heine avait une admiration sans borne pour ce jeune compositeur et lui a dédié de nombreux articles élogieux.
…
De plus je peux affirmer qu › Heinrich Heine n’était absolument pas polonophobe, sinon on pourrait aussi à tort dire que des grands défenseurs du patriotisme polonais comme 'Henryk Sienkiewicz ou Adam Dmowski l’étaient… En effet sans qu’il n’y ait de volonté humoristique de leur part ils ont attribué à la population polonaise elle-même (la noblesse paresseuse réticente à concéder une place politique à d’autres classes de la population, le retard industriel face à des pays europées) la disparition de leur nation. Sans compter les positivifs qui ont vu les effets des soulèvements en Pologne plus négatifs (germanification et russification en tant que représailles ) que positifs.
Il s’agit juste d’une analyse de faits que l’on ne peut nier et pour Heine de les souligner avec une pointe d’humour acerbe. Mais honnêtement si vous pouvez lire les nouvelles de Sienkiewicz comme « Sans dogme » (hélas plus du tout disponible en français), le portrait des Polonais dressés par Wladislaw Reymont dans « La Terre de la grande Promesse », je dirai franchement que le petit poème d’Heine c’est du tout petit lait.
Heirich Heine a noué des rapports très amicaux avec la communauté polonaise refugiée à Paris, notamment celles fréquentant l’hötel d’Alembert… Le siège parisien de la communauté polonaise en exil. …
J’ai sous la main un important travail d’Ernst Josef Krzywon intitulé "Heinrich Heine und Polen : Ein Beitrag zur Poetik der politischen Dictung zwischen Romantik und Realismus. Il s’agit d’une publication datant de 1972 dont je ne sais si cette publication est encore disponible aujourd’hui.
J’ai proposé une contribution ayant pour titre « Heinrich Heine en tant qu’intermédiaire entre la France et la Pologne » pour une conférence dans le cadre du triangle de Weimar qui aura lieu à Wroclaw en septembre. J’ai recueilli des avis positifs de mes professeurs actuels au sujet de ma contribution mais je ne sais pas encore si ma contribution sera sélectionnée… Si c’est le cas je serais ravie de poursuivre ce dialogue avec vous, sans prise de tête intellectuelle de ma part !!! surtout pas, mais du moins avec sérieux car je pourrais faire des recherches beaucoup plus approfondies et suivies.
Un petit point anecdotique dans un sujet très sérieux.
A l’évocation de l’écrivain polonais Henryk Sienkiewcz…j’ai tout de suite fait « tilt ».
Pour moi , Sienkiewicz , c’est un peplum que j’avais vu au cinoche de ma petite ville , il y a très , très longtemps , et qui s’appelait ;« Quo vadis ».
Wow , Tyrone Power dans le rôle du centurion Marcus Vinicius , Peter Ustinov dans celui de Néron… Aujourd’hui encore restent dans ma mémoire des images très nettes de ce film.
Justement Heine a mis dans son Romanzero beaucoup d’humour !!!
Les gros pavés historiques de Sienkiewicz sont devenus un problème pour moi… . Parce que la France, contrairement aux pays de langue anglaise ou allemande ne semble garder de cet immense écrivain que ces romans historistiques… Mis à part "Bartek le vainqueur " ses nouvelles et ses romans sociaux ne sont plus disponibles…A noter que ces nouvelles mettent principalement en scène des Polonais sous le joug de l’autorité prussienne ou des Polonais émigrés fuyant cette oppression… Alors je dois lire Sienkiewicz en allemand ou en anglais pour m’acquitter du thème de mon travail d’étudiante, que j’ai moi-même choisi… J’aurais préféré passer par le français pour ensuite retrouver les passages en polonais me servant pour les citations…
Bon on s’en sortira… Je tenais aussi à vous annoncer que ma contribution parlant d’Heinrich Heine en tant que médiateur allemand entre la France et la Pologne pour le colloque de Wroclaw dans le cadre du triangle de Weimar a été accepté… Donc si vous le souhaitez, on pourra aller encore plus loin sur ce sujet, que je ne voudrais en aucun cas trop sérieux donc ennuyeux