Le Sud-Tirol parle allemand… et il l’écrit. Bien que Rosendorfer ait passé une bonne partie de sa vie en Bavière ou en Allemagne, il n’en est pas moins un enfant de Bozen.
Ein Liebhaber ungerader Zahlen est un roman déroutant, délirant mais sacrément bien construit. On suit d’abord un insignifiant droguiste bavarois, puis un mystérieux écrivain qui s’est retiré du monde, puis une histoire dégentée de nonne et de courrier tombé par hasard dans les mains d’un écrivain mondain jaloux du succès de l’autre. Une fois ces trois premiers chapitres avalés, on a de quoi supporter le rodéo qui suit : une histoire tourbillonante et franchement amusante qui nous fait au passage un portrait peu flatteur de Rome, un roman intelligent voire intellectuel qui nourrit le philosophe autant que le lecteur en vacances que nous sommes tous (plus ou moins). La langue est ardue pour des apprenants, mais excellente lecture pour ceux qui font une fac d’allemand. Pour ceux qui maitrisent la langue, c’est un savoureux humour et un festival flamboyant de perles de style. Il y a beaucoup de participes 1, ce qui est un signe d’intelligence chez un auteur germanophone, contrairement à ce qu’on vous raconte. Un style rococco flamboyant qui fait rire, sourire, réfléchir, penser, douter… et lire.
Je me précipite sur Briefe an die chinesische Vergangenheit. Je suis ravi d’avoir découvert cet auteur.
Un peu long mais trèèès intéressant. Briefe in die chinesische Vergangenheit, comme les Lettres persanes en leur temps, jouent sur le regard de l’étranger perdu dans un monde qu’il ne connait pas. Les découvertes se font par l’absurde, le décallage et la naiveté d’un Candide. Mais le don d’observation que Rosendorfer prète à Kao Tai le chinois de la dynastie Song (contemporains des Capétiens) est très aiguisé, fin et empreint d’une réflection philosophique qui sait prendre la place qui lui revient sans prendre le roman en otage.
On peut trouver que le désir de Rosendorfer de faire le tour de tous les domaines socio-culturels du monde occidental des années 80 l’oblige à quelques longueurs, voire à arriver à une sorte de collage sans trame narative romanesque. Ce n’est pas faux mais il fait un vrai effort de cohésion en tissant une histoire sensuelle entre Kai Tai et deux femmes bien différentes et qui se termine en jalousie. Cette exploration des moeurs de notre temps permet de tenir le lecteur à bout de bras. C’est un peu insuffisant pour ceux qui ne chercheront qu’une épopée romanesque. D’autres comme moi se laisseront porter par les réflections intellectuelles d’un conficianiste qui nous révèle notre monde comme jamais nous ne l’avons perçu. Le constat est amer, on se sent un peu impuissant, mais franchement, on s’en doutait un peu que notre monde est au mieux déraisonnable, au pire absurde. Non ?
Herbert Rosendorfer vient de nous quitter à l’âge de 78 ans. Il est mort ce jeudi des « suites d’une longue maladie », selon l’expression consacrée, dans une clinique de Bozen/Bolzano, dans ce Tyrol sud dont il était originaire.
Entretien d’un demie-heure environ, en décembre dernier, sur la télé bavaroise, à propos de son oeuvre et de sa façon de travailler. http://www.br.de/fernsehen/bayerisches-fernsehen/sendungen/lesezeichen/gespraech-herbert-rosendorfer100.html?time=67.878
Je n’ai pas voulu publier la nouvelle de sa mort, parce que je pensais que ce nom ne dirait rien à personne dans l’aire francophone.
Naturellement, sa disparition était à la une de notre quotidien local.
Rosendorfer avait quitté enfant sa patrie sud-tyrolienne dans le cadre de l’Option (Heim ins Reich ou Viva il Duce). A noter qu’il ne fut pas seulement un écrivain de talent, mais aussi un juriste, puisqu’il était juge au tribunal de grande instance de Naumburg, en Saxe-Anhalt à partir de 1993.
Je remercie Elie pour avoir éclairé sa personnalité littéraire.
Triste nouvelle littéraire, humainement cependant une délivrance. On le disait très souffrant.
Cet auteur intelligent et intelligible a une habilité particulière, autant avec le style toujours éblouissant qu’avant les trames narratives toujours surprenantes. Un peu de folie italienne peut-être, beaucoup de profondeur toute germanique surement. Mes élèves ont gagné le droit de lire Rosendorfer cette année, par hommage, par désir, par plaisir, et un peu par tristesse aussi. C’est pas mal pour un auteur qui m’a donné envie d’aller en Italie.
Une petite remarque au passage ; sa fiche sur wikipédia, indique que Rosendorfer était également librettiste et compositeur.
Très amusant de constater que des intellectuels de langue allemande qui se sont fait principalement connaitre par leurs oeuvres littéraires, philosophiques ou sociologiques ont également été compositeurs. Trois d’entre eux me viennent à l’esprit ; Nietzsche, Theodor Adorno et , précisément Rosendorfer. Il me semble qu’on chercherait en vain, parmi les écrivains de langue française, des compositeurs (mais je peux me tromper.)
Cela me met d’accord (pour une fois) avec Bruno Lemaire, ancien ministre du précédent président, dont j’ai d’ailleurs oublié le nom,qui vient de sortir un livre sur le chef d’orchestre allemand Carlos Kleiber (Sonka en avait parlé, je crois dans la rubrique « à la radio ce soir ») et qui notait dans une interview sur France Musique, qu’en Allemagne, les politiques avaient souvent une bonne culture en musique classique, et de citer la chancelière et son amour pour les concerts, ainsi que l’ancien président Richard von Weiszäcker, grand connaisseur en ce domaine.
Ma façon, à moi, de rendre un petit hommage à ce monsieur dont j’espère bien avoir l’occasion, un jour, de lire une de ses oeuvres. "'Schott'-isches Volkslied" by Herbert Rosendorfer - Petrushka Project - YouTube Schottisches Volkslied.