Le 22 juillet 1763 ; dans son bureau du Peterhof de Saint Petersbourg, la jeune tsarine , que nous connaissons comme « la grande Catherine » signe le décret (oukase) connu sous le nom de"Einladungsmanifest" (manifeste d’invitation). Il s’agit , par ce document , d’attirer vers l’empire russe des étrangers et de faciliter leur installation.
Il s’adresse à tous les étrangers , mais , en réalité , en premier lieu , aux Allemands. Et oui , Catherine , née Sophie Friederike von Anhalt-Zerbst a vu le jour à Stettin et est donc allemande par sa naissance.Elle accède au pouvoir en 1762 , suite à un coup d’état qui renverse son époux Pierre III et l’assassine. A noter ; Pierre III ( Peter Ulrich von Holstein-Gottorp ) était aussi prince allemand de naissance.
Ce manifeste est le premier acte politique significatif de l’impératrice.Elle espèrait par cette immigration , apporter à l’empire dont elle devenait la souveraine :" le développement économique certes, mais avant tout le progrès dans le domaine socio-culturel."
Dans son manifeste , Catherine met en avant la richesse du sol en minerais et en métaux qui ne demandent qu’ à être exploités et souhaite que se multiplient les créations d’usines , de manufactures et de fabriques.
Elle souhaite aussi par cette immigration , renforcer son pouvoir grâce à des citoyens loyaux, la noblesse russe n’étant , en partie pas bien disposée à l’égard de la tsarine et les paysans , tous des serfs obéissants à leurs nobles.
Pour encourager les éventuels candidats à l’immigration, elle leur fait miroiter divers avantages tels que l’exemption de l’obligation militaire , l’administration autonome , des avantages fiscaux , une aide financiaire pour commencer ,30 hectares de terre par famille et le droit de pratiquer leur langue, principalement pour les immigrants d’origine allemande.Elle leur garantit également la liberté religieuse.C’est principalement ce dernier point qui encouragera les candidats à l’immigration à quitter leur pays d’origine.
Dans les cinq années qui suivent la publication du manifeste , plus de 30.000 immigrants , principalement en provenance d’Allemagne , viendront s’installer en Russie. Ils coloniseront les environs de Saint Petersbourg , la Russie méridionale , les rives de la mer Noire et celles de la Volga. Rien que dans le secteur de la Volga , 100 nouveaux villages verront le jour. Agriculteurs tournés vers le progrès , habiles artisans ,entrepreneurs audacieux , les nouveaux immigrants, après quelques difficultés d’adaptation au climat , parviendront à une certaine aisance. Les guerres napoléoniennes viendront , par la suite , alimenter ce flot d’immigrants.On estime qu’au milieu du XIXème siècle , la Russie comptait plus d’un demi-million de « Rußlanddeutsche ».
Cette communauté semble vivre en paix et jouir d’une certaine autonomie. C’est au XXème sièccle que les ennuis vont commencer.
Première guerre mondiale ; bien qu’ayant pour la majorité d’entre eux servi et combattu dans l’armée russe, les Allemands sont considérés comme des traitres potentiels.
Période noire pour beaucoup d’entre eux ; famine en Ukraine , pogromes anti-allemands , transformation des colonies en kolkhozes , expropriation des paysans fortunés.
Deuxième guerre mondiale ; toute personne parlant allemand dans les territoires non occupés par Hitler est considérée comme « fachiste ».
1941 ; suite à un décret du soviet suprême , tous les « Rußlanddeutschen » sont obligés de gagner la Sibérie dans un délai de quelques semaines.
Après la chute du régime soviétique , plus de 2 millions d’Allemands de Russie décident de regagner leur « patrie d’origine ».
Il ne reste aujoud’hui plus qu’environ 800.000 citoyens d’origine allemande , la plupart d’entre eux en Sibérie.
Pour beaucoup d’entre eux , le retour dans la « patrie d’origine » fut une épreuve.Un petit exemple , celui de la famille Schütz dont les ancêtres , originaires du secteur Rhein-Lahn quittèrent cette région il y a 250 ans. Galina Schütz raconte que sa grand-mère n’avait jamais parlé le russe , sauf lorsqu’elle était en colère et qu’elle ne parlait pas le haut allemand mais le Platt de sa région !!! Le père de Galina , Theodor Konradowitsch ne comprenait pas la télé allemande , son dialecte Platt hérité du XVIIIème siècle ayant peu de choses en commun avec le Hochdeutsch…Par contre , il arrivait à comprendre un peu la télé néerlandaise. Galina , elle-même , précise qu’il lui a fallu reprendre l’allemand presque à zéro !
Bien sûr , Galina a parfois la nostalgie de la steppe , mais , en fin de compte , elle ne regrette nullement d’avoir franchi le pas , ne serait-ce que pour l’avenir de ses enfants et petits enfants qu’elle voit plus rose qu’en Russie.
Source:
Le texte original du décret , conservé aux archives nationales russes :
Le même texte (en caractères latins):
http://www.rpz-heilsbronn.de/fileadmin/user_upload/daten/arbeitsbereiche/schularten/real-wirtschaftsschule/heimat/M6_manifest-1762.pdf