L’Allemagne s’apprête à rendre hommage à un noble de conviction, qui fut l’un des grands inspirateurs de la résistance civile au nazisme en Allemagne, et un Européen visionnaire. Helmuth James Graf von Moltke (1907-1945), noyau du cercle de résistance de Kreisau pendant la Seconde Guerre mondiale, aurait eu 100 ans le 11 mars. Dimanche, la chancelière Angela Merkel et la veuve du résistant exécuté en janvier 1945 à 37 ans, Freya von Moltke, assisteront à un concert à sa mémoire au Konzerthaus du Gendarmenmarkt à Berlin. Des colloques, des timbres de collection et un office religieux lui rendront également hommage.
Né dans une famille de militaires, arrière petit-neveu du feld-maréchal et stratège prussien Heltmuth Karl Bernhard von Moltke (1800-1891) qui mena les guerres contre l’Autriche et la France jusqu’ à l’avènement du Reich allemand en 1871, Helmuth James von Moltke avait tout pour faire un bon militaire, ou un hobereau prussien bon teint. Mais peut-être est-ce sans compter l’ascendance maternelle é Il était aussi le petit-fils de James Rose Innes, un Britannique aux idées libérales et pacifiques qui devint juge suprême en Afrique du Sud. Quoi qu’il en soit, von Moltke fut toute sa vie un penseur libre, hostile à tout Etat autoritaire, de sensibilité sociale-démocrate.
En 1925, le jeune homme entreprend des études de droit à Wroclaw, Berlin, puis Vienne. Là, il côtoie un cercle d’artistes et d’intellectuels démocrates et libéraux, dont faisaient partie Carl Zuckmayer et Bertolt Brecht. Il rencontre également sa future femme Freya, qu’il épouse en 1931 et dont il aura deux enfants. En 1929, il a repris le domaine familial de Kreisau, en Silésie (devenu Krzyzowa en Pologne).
Lorsqu’Hitler devient chancelier, en 1933, Helmuth James von Moltke fait d’emblée partie des opposants. Devenu avocat en 1935, il se met d’abord au service des juifs qui veulent fuir l’Allemagne. Quatre ans plus tard, il fait un pas de plus dans la résistance active. Il intègre le service de renseignements de la Wehrmacht, déjà truffé d’opposants au Führer. Commence alors une dangereuse " double vie ". Pendant qu’il rédige des expertises sur le droit international de la guerre, en essayant d’empêcher les exécutions d’otages dans les zones occupées et en plaidant pour un traitement humain des prisonniers de guerre, Moltke construit aussi un réseau de contacts hostiles au nazisme en Allemagne et à l’étranger. Bien plus, il b’tit un réseau de résistants, entré dans l’histoire sous le nom de " Cercle de Kreisau ".
Mû par un sentiment d’humanité et une foi profonds, Moltke accueille dans son réseau sans distinction des catholiques et des protestants, des conservateurs et des sociaux-démocrates, des juristes et des professeurs. Ensemble, ils imaginent l’Allemagne post-hitlérienne, une Allemagne redevenue démocratique après avoir perdu la guerre. D’abord hostile à l’attentat contre Hitler fomenté par la résistance militaire, von Moltke change d’avis en 1943 et rencontre finalement von Stauffenberg. Rien ne filtrera de la conversation.
A la base de leur projet, les membres du Cercle de Kreisau ont placé la création d’un Etat de droit. Un Etat humain et organisé sur le mode fédéral. Un Etat qui garantisse la liberté de conscience et de croyance, ainsi que le respect de la dignité humaine. Ils visent Etat démocratique, mais dépourvu de partis, car ces derniers n’offrent plus à leurs yeux de rempart suffisant contre la dictature. Un Etat aussi qui serait étroitement intégré dans une fédération d’Etats européens où les Etats européens gèreraient ensemble la politique étrangère et de défense, transférant à cette Europe une partie de leur souveraineté.
Mais l’Européen visionnaire von Moltke n’assistera pas à la réalisation de son rêve. En janvier 1944, six mois avant l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944, il est dénoncé par un ami et emprisonné par la Gestapo. Son arrestation conduira d’ailleurs certains de ses proches, dont Peter Yorck, à se rapprocher de von Stauffenberg, et plusieurs seront arrêtés et exécutés après l’échec de l’attentat. Quant à Moltke, ni son implication dans la préparation de l’attentat, ni sa participation à des activités de résistance ne pourront jamais être prouvées. Mais il sera pendu le 23 janvier 1945, à 37 ans.
Source: www.amb-allemagne.fr