Nouvelles tendances littéraires : entretien avec Imran Ayata
À l’heure où le multiculturalisme progresse outre-Rhin, la diversité s’invite aussi dans la littérature allemande. Dans une interview accordée à Young Germany, l’écrivain allemand d’origine turque Imran Ayata revient sur son premier opus, Hürriyet Love Express, un recueil de nouvelles sur l’immigration. Il évoque également son dernier ouvrage, Mein Name ist Revolution.
Young Germany : Pourriez-vous éclairer rapidement nos lecteurs sur vos origines ? Vous êtes né à Ulm, mais votre famille vient de Turquie…
Imran Ayata : Oui, ils ont immigré ici en tant que travailleurs invités, au début des années soixante. Mon père est arrivé en 1963, et ma mère en 1968. Mon père avait été envoyé à Ulm car on l’avait affecté à un travail dans cette ville.
Young Germany : Hürriyet Love Express est un recueil de nouvelles sur l’immigration dont l’action se déroule à Berlin, Francfort, Heidelberg et Istanbul. Qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer un livre à ce sujet ?
Imran Ayata : Je n’avais encore aucune ligne définie en commençant à écrire. J’ai plutôt recueilli ces histoires au fil des ans. Je m’intéressais beaucoup aux modes de vie urbains, c’est pourquoi l’action se déroule en ville dans la totalité des nouvelles. J’ai aussi essayé de raconter les histoires de personnages non conformes aux préjugés qui dominent sur les jeunes immigrés de sexe masculin.
Young Germany : Ces personnages vous ont-ils été inspirés par votre propre expérience ?
Imran Ayata : C’est là que se situe la différence entre mon premier et mon deuxième livre. Dans le premier, j’ai traité sur le mode de la fiction beaucoup d’anecdotes vécues directement ou indirectement. […] Au contraire, dans mon deuxième livre, je voulais écrire un roman, donc la démarche était différente.
Young Germany : Pourtant, le héros de Mein Name ist Revolution a des racines turques…
Imran Ayata : Oui. Le livre raconte l’histoire de Devrim, un animateur radio âgé de 35 ans. Né de parents arrivés à Berlin dans les années soixante-dix, il fait fortune en une nuit après avoir gagné au loto. Plus tôt dans l’histoire, ses parents meurent dans un accident de voiture et il est confié à son oncle Ahmad. Devrim est un vrai hipster, il vivote et ne s’intéresse pas le moins du monde à la politique ou à l’histoire. Jusqu’au jour où il rencontre à Hambourg une femme qui le met sur la voie.
Il y a une scène où elle lui demande d’où il vient, et il répond « Berlin ». Elle rétorque : « Non, c’est impossible ! D’où viens-tu réellement ? » Elle-même est kurde. Il lui répète qu’il est né à Berlin et qu’il y a grandi, mais elle insiste : « Oui, mais quelles sont tes origines ? » Il finit par lui avouer que sa famille est originaire de Dersim. Elle lui répond que c’est justement sa ville natale. Pour l’impressionner, il lui raconte qu’il va se rendre sur place – où il n’a jamais mis les pieds – afin d’avoir un sujet de conversation lui permettant de garder contact avec elle.
Finalement, Devrim entreprend ce voyage sur les traces de ses parents. Il se rend sur leur tombe pour la première fois, mais ne ressent aucune émotion. Il n’est ni bouleversé, ni ému ; il reste de marbre. Son voyage lui fait prendre conscience du fait que sa place aurait pu être en Turquie. Il perd son emploi d’animateur radio, mais l’histoire continue pour couvrir une année, s’ouvrant et se concluant sur son anniversaire. La fin reste ouverte. Le livre s’achève comme il avait commencé : sur un coup de sonnette.
Young Germany : Le titre, Mein Name ist Revolution, signifie-t-il qu’il s’agit d’un livre politique ?
Imran Ayata : Le personnage principal, Devrim, connaît une véritable révolution. Le livre est éminemment politique, même si cela ne saute pas aux yeux dans la mesure où le héros est totalement apolitique. Mais c’est bel et bien un roman politique, qui évoque l’histoire de l’immigration en Allemagne, ainsi que la question kurde, et bien d’autres sujets encore.
Young Germany : À ce propos, qu’est-ce que cela signifie d’écrire en Allemagne avec des origines immigrées ?
Imran Ayata : Ce pays évolue, et la production culturelle ne fait pas exception à la règle. Bien sûr, un patronyme comme Ayata est un peu inhabituel dans le paysage littéraire. Cependant, il est clair que c’est de la littérature allemande puisque c’est écrit en allemand. Je ne me préoccupe plus vraiment de savoir comment les gens me cataloguent, mais plutôt de savoir s’ils me lisent et s’ils prêtent attention à mes livres. C’est cela qui m’importe, bien plus que de savoir si l’on m’attribue une étiquette. J’ai acquis un certain détachement sur ce point. Ce serait différent dans un contexte politique, où ces sujets peuvent faire l’objet de discussions. Dans un contexte littéraire, en revanche, cela n’a aucun intérêt.
Young Germany : Vous avez longtemps vécu à Francfort. Cela fait-il une différence d’écrire à Berlin, qui a la réputation d’être la capitale de la créativité ?
Imran Ayata : J’aime beaucoup Francfort. J’y ai passé dix années qui ont vraiment forgé ma personnalité. J’ai souvent pensé à retourner m’y installer, mais Berlin a un atout majeur : sa taille. On peut y découvrir de nouvelles niches. Pour mon dernier livre, j’ai fait des recherches en des lieux qui m’étaient totalement inconnus. Ce serait plus difficile à Francfort, car la ville est beaucoup plus petite et compacte. Aujourd’hui, il est plus intéressant pour moi d’habiter à Berlin, où le mode de vie est différent. Mais je reste très attaché à Francfort.
Young Germany : Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Imran Ayata : J’ai plusieurs idées, mais rien de concret pour le moment.
Interview réalisée par Angela Boskovitch
Source : www.young-germany.de/