C’est l’un des mythes de l’histoire du capitalisme en Allemagne. L’entreprise Krupp (aujourd’hui ThyssenKrupp) a fêté dimanche à Essen, sur son site d’origine, le bicentenaire de sa fondation en présence du président allemand, Christian Wulff et de 180 personnalités. Deux siècles au cours desquels le fabricant d’acier s’est distingué à de nombreux égards : loué pour sa capacité d’innovation permanente et son engagement social exemplaire, il s’est aussi beaucoup enrichi par la fabrication d’armes, y compris sous le régime nazi.
Tout commence en 1811, lorsque Friedrich Krupp, un riche habitant d’Essen, dans la Ruhr, fait construire une forge pour produire de l’acier fondu. Il espère tirer parti du blocus continental, imposé par Napoléon, pour gagner de l’argent en utilisant un procédé qui n’était maîtrisé qu’en Angleterre. Mais sa production, de mauvaise qualité, fait surtout fondre sa fortune.
Puissance d’innovation
Tout change quarante ans plus tard avec l’expansion rapide du chemin de fer, au milieu du XIXe siècle, dans la foulée de la révolution industrielle. Sous la houlette d’Alfred Krupp, fils du fondateur, l’entreprise se développe grâce à la fabrication d’essieux et de ressorts. Alfred Krupp est un innovateur. Il invente de nouvelles techniques qui se vendent dans le monde entier. Peu à peu, il élargit les domaines d’activité de son entreprise, qui ne cesse de grossir. Et il se lance dans la fabrication d’armes.
Durant la Première Guerre mondiale, Krupp fournit ainsi la Grosse Bertha. Cette imposante pièce d’artillerie utilisée par l’armée allemande était baptisée d’après la femme du directeur de l’entreprise. Krupp est alors une énorme entreprise de plusieurs dizaines de milliers de salariés. C’est un soutien efficace à l’effort de guerre allemand.
Modèle d’entreprise sociale
Très tôt, Krupp avait opté pour une politique sociale active, paternaliste. Dès le XIXe siècle, l’entreprise a ainsi construit des cités ouvrières, une caisse d’assurance maladie, des hôpitaux ou encore des magasins à prix réduits pour ses ouvriers. Une attitude exemplaire poursuivie jusqu’à nos jours et relevée par le président Wulff : Krupp incarne cette économie sociale de marché qui fait la force de l’économie allemande, a-t-il exposé en substance. Si l’Allemagne sort aujourd’hui si forte de la crise, c’est parce qu’il n’y règne pas la « mentalité du ‘hire and fire’ (politique d’embauche et de licenciement facile) », a-t-il dit.
Tournant de la Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale est cependant un tournant pour Krupp. Les usines produisent des armes en grande quantité, cette fois au service du régime nazi. L’entreprise s’est d’abord adaptée à l’évolution politique. Mais elle est, par la suite, devenue l’un des fleurons économiques de l’Allemagne nazie. Hitler fréquente alors la Villa Hügel, résidence familiale des Krupp. Il exhorte la jeunesse allemande à être « dure comme de l’acier Krupp ». Pire : à cette époque, les usines Krupp emploient des milliers de travailleurs forcés.
À la fin de la guerre, Alfried Krupp von Bohlen und Halbach, directeur général du groupe, est condamné à douze ans de prison par un tribunal militaire américain. Il sera amnistié au bout de trois ans. Krupp est, par ailleurs, l’une des premières entreprises à reconnaître sa responsabilité vis-à-vis de l’histoire : dès 1959, elle indemnise les travailleurs forcés juifs qu’elle a employés. Mais l’entreprise sort de la guerre transformée. Dorénavant, elle ne sera plus dirigée par un membre de la famille Krupp : en 1953, Alfried Krupp passe la main à Berthold Beitz.
La société est atrophiée. Dans les années 1950, Beitz la redresse. La fabrication d’armements est abandonnée. À partir de 1966/1967, cependant, la crise provoque de nouvelles mutations. À la mort d’Alfried Krupp, Beitz convainc son fils de renoncer à son héritage au profit d’une fondation. La fondation Krupp est née. Et l’entreprise a retrouvé une taille gigantesque. Dans les années 1990, elle cessera toutefois d’exister à proprement parler puisqu’elle fusionne en 1999 avec Thyssen pour former ThyssenKrupp.