À côté de l’écoute régulière de la radio allemande et autrichienne, j’alterne depuis peu avec la radio suisse pour me tenir au courant de l’actualité nationale. Au-delà des alternances entre l’allemand standard et le suisse-allemand, je me suis posé la question au niveau du dialecte utilisé à la radio, ainsi qu’à la télévision. Etant donné que toutes les chaînes de radio et de TV alémaniques sont diffusées sur l’ensemble des cantons du pays (et que ce dernier a des dialectes qui varient en fonction des cantons), quel dialecte est donc utilisé ? Y a-t-il en réalité un dialecte « standard » ?
Car du coup, il y a une chose que je ne comprends pas. Si un Bâlois a du mal à comprendre un Zurichois, qu’un Valaisan a du mal à communiquer avec un Bernois etc., mais que la radio et la TV n’utilisent qu’un seul dialecte, comment l’ensemble des Suisses alémaniques font-ils pour comprendre ?
Je sais qu’il y a quelques spécialistes de la Suisse sur ce forum qui, j’en suis sûr, pourront aisément répondre à ma question.
Mmh, je ne m’attendais pas à ce que ma question pose autant de difficultés aux membres du site !
Après de longues recherches, j’ai finalement trouvé une réponse. En fait, que ce soit pour les spots publicitaires, les informations ou les shows télévisés, ils emploient un dialecte dit « neutre » qui se situe entre le Zürichdeutsch et le Berndeutsch, compréhensible pour la majorité des Suisses allemands. Ainsi, les dialectes les plus clairs pour eux sont donc parlés dans les cantons de Zurich, d’Aargau, de Lucerne et de Zug.
Bon, je dois dire que Michelmau m’a enlevé les mots de la bouche…
Mais je suis assez étonnée, un dialecte qui servirait de lingua franca??? J’aurais pensé qu’il suffirait de parler un allemand standard et ensuite de parler le dialect de sa région… En tant que touriste française germanophone, l’allemand cela passe très bien, puisque l’allemand standard est tout de même appris dans les écoles.
Par contre, je pensais qu’il était souhaitable pour une personne étrangère (par forcément venant d’un pays étranger) désireuse de vivre dans un canton donné, d’apprendre le dialect local pour mieux s’acclimater, plutôt que de chercher un « supradialecte ». Non?
Mouais… la réponse est à peu près juste. Version courte: Les médias parlent une soupe plus ou moins créolée soit goût Zurich, soit goût Berne, avec une bonne dose de calques purs et simples au haut-allemand pour compenser l’indigence du vocabulaire dialectal des moins de 60 ans.
Version longue: Je suppose que tu as demandé à un Suisse. La vérité linguistique est plus nuancée. Ce qu’ils appellent dialecte, c’est en grande partie du haut-allemand prononcé à la suisse, avec enrichissement lexical directement pris du haut-allemand mais aussi une dose plus ou moins grande de vrai dialecte selon l’âge du locuteur, sa compétence en dialecte et son niveau de nationalisme. Comparez de la vraie littérature dialectale (plongez-vous dans les brocantes) avec les médias actuels… vous verrez la différence. C’est un abus de langage de dire qu’il y aurait un dialecte médian en guise de lingua franca, mais disons que le haut-allemand se glissent dans cette histoire bien plus que les Suisses ne vous le diront et la majorité des Suisses allemands vivent aujourd’hui dans le triangle Berne-Zürich-Lucerne. Je peux juste confirmer que les prononciations à la Zurichoise et à la Bernoise modérée sont majoritaires. Mais c’est en partie aussi parce qu’un Valaisan ou un Grison qui va étudier et travailler à Zurich ou Berne adapte son dialecte: difficile de garder son dialecte d’origine quand tout le monde parle une sorte de soupe goût Zurich ou goût Berne. De toute façon, à part le haut-valaisan, certains coins du haut-bernois et les saxons des Grisons, les autres se comprennent tous sans peine dans la vraie vie. Quand un Zurichois affirme qu’il ne comprend pas un Bâlois, c’est surtout qu’il se focalise sur le dialecte traditionnel qui a pratiquement disparu de la rue et des écoles.
Tout ça pour dire que c’est vrai qu’il y a une sorte de soupe dialectale dans les médias, mais les Suisses appellent trop souvent dialecte ce qui est un mélange de haut-allemand prononcé à la suisse. C’est surtout ça, l’idiome médian.
Il faut dire aussi que si la majeure partie de la population suisse alémanique se concentre sur le Plateau (Mittelland) dans le quadrilatère BS-ZH-LU-BE, c’est qu’il s’agit d’une population « immigrée » suite à l’exode rural. Donc, les nouvelles génération ont totalement oublié le dialecte des grands-partents. On a la même chose en Italie, par exemple, où les médias, à partir des années 50, ont été un puissant multiplicateur pour la diffusion d’une langue italienne unitaire, en gommant les dialectes, sans parler de l’exode sud-nord. On parle comme à la télé, on se comporte comme à la télé.
Dans le même ordre d’idées, avant la partition de la Tchécoslovaquie en 1993, Tchèques et Slovaques se comprenaient très bien, bien que ce soient deux langues différentes, et les films de chaque aire linguistique passaient chez l’autre sans sous-titres à la télévision. Aujourd’hui, un jeune Tchèque aura du mal à comprendre un jeune Slovaque (d’autant plus qu’ils parlent comme des mitrailleuses, mais c’est une question d’habitude ), et vice-versa.
« diffusées sur l’ensemble des cantons du pays » → c’est vrai pour la radio publique (srf3.ch etc…) mais pas necessairement pour les radios privées et locales, qui sont, pour la plupart, diffusées sur un territoire restraint et d’ un point de vue dialectal plus homogène.*
« des dialectes qui varient en fonction des cantons » → oui, mais il y a intercompréhension presque totale, par proximité linguistique et/ou par exposition, habitude. On se côtoit depuis 1291 après tout Donc, pas besoin de dialecte standard. Il faut juste que les présentateurs d’une région dialectale un peu « hors norme », les Valaisans et Fribourgeois pour être clair evitent la douzaine d’expressions bizarres héritées de leur grand mère. Ils les connaissent bien.
dans les années huitante, disons, il fallait pour les présentateurs à la radio publique encore qu’ils soignent leur dialecte. La radio veillait aussi à ce que toutes les zones dialectales soient représentées. Aujourd hui, on s’en fout, il me semble, et embauche les gens sur d’autres critères. Il est vrai aussi que tous les présentateurs ne parlent plus un dialecte « pur », vu la mobilité acrue des générations actuelles, il y a donc une tendance au « melange », sous dominance des dialectes les plus parlés (zurich, argovie etc).
Mais jusqu’à un certain point seulement, comme vous pouvez le constater dans cet extrait du programme matinal de la chaine publique drs3 (devenue srf3 entretemps):
Vous entendez dans l’ordre (ça commence serieusement à 0.40): un bernois (le présentateur principal), un shaffousois (Schaffhausen), un soleurois (Solothurn), un saint gallois (Sankt Gallen - sous dialecte du Rheintal, plus précisement), Tous parlent leur dialecte d’origine d’une manière clairement identifiable.
Evidemment, on se moque parfois entre nous alémaniques à propos de nos dialectes respectifs. La même radio, je me souviens, avait dans le temps deux studios, un à Bâle, un autre à Zurich. Et il faisaient des petites blagues genre: Bonjour ici DRS drüü (3 en zürichois), non DRS drei (3 en bâlois), non drüü,…
exemple d’une célèbre radio locale zurichoise radio24.ch/service/frequenzen/12 - pour le Grand Zurich sur fm (ailleurs sur radio numérique DAB+ , cable ou internet, évidemment)
pour les enfants, oui, mais ils apprennent le parler local de toute façon, dans la cour de récré… ils n’ont pas le choix. Qu’ils viennent de l’étranger ou d’une autre région alémanique. Les petits suisses de parents « immigrés » d’un autre canton sont d’ailleurs souvent « bi-lingue », parlent accessoirement le dialecte de leurs parents, mais principalement le dialecte acquis avec leurs copains. ça s’appelle peer pressure . Pour eux, parler un autre dialecte ferait tache.
pour les adultes suisses, ils gardent normalement leur dialecte d’origine, atténué par les années passées dans le nouvel environnement. On leur dira simplement: Ah tiens, du viens de (x) à la base… Et on a déjà un premier sujet de conversation.
pour les étrangers adultes venant d’Allemagne, il leur est fortement déconseillé d’essayer de parler un dialecte, ils arrveront pas à la perfection et les Suisses n’acceptent pas de demi mesures en ce qui concerne leur patrimoine linguistique vénéré. Donc ridicule garanti. S’ils viennent d’une région allemande dialectale, qu’ils inserent une dose de leur propre parler dialectal, ça passera très bien. Pour le reste, qu’ils gardent leur Hochdeutsch, et apprennent juste à comprendre le dialecte, pour pouvoir naviguer dans le quotidien alémanique, qui sera fortement dialectal.
pour les égrangers d’ailleurs, ils ont le choix. Les alémaniques de Suisse sont beaucoup moins sévères avec eux qu’ avec les « grands cousins » allemands. Pour eux, c’est souvent un choix difficile entre comprendre au plus vite les gens dans la rue et acquerir les bases solides pour un avenir professionel. Je pense à un ami egyptien, qui a fait le bon choix d’apprendre sérieusement l’allemand standard, ça lui a ouvert les portes d’une école professionelle, même adulte, quand ses amis ont privilégié le dialecte, et n’ont pas réussi à passer de diplôme pour manque de maitrise de la grammaire et du vocabulaire allemandes.
Tiens, il me semble que cela fait longtemps que je ne t’ai pas entendu sur ce forum, Nebenstele, non ??? Bon retour en tout cas…
Merci, car tu as aussi répondu à ma question, même si je ne l’ai posée que par curiosité, un grand merci de cette réponse approfondie d’une personne totalement au fait…
Cette idée de privilégier un patois suisse allemand standard en Suisse Alémanique, plutôt que l’allemand standard m’avait vraiment surprise. A mes yeux une langue régionale cela représente l’identité culturelle d’un endroit , alors vouloir en faire un regroupement artificiel de plusieurs langues locales face à l’une des langues nationales ,cela n’aurait plus de sens
Du tout petit peu que je connaisse des principales villes de Suisse Alémanique (Zurich, Lucerne, Bern et Bâle, c’est tout), j’ai remarqué que hors des trucs touristiques j’ai toujours été très bien accueillie en tant que française chocolat parlant l’allemand standard, jusqu’à devoir en préciser que je vivais en France et non en Suisse même parfois (un peu comme ton ami égyptien ).
Après, si d’intégration il s’agit, il est impossible de généraliser, je pense qu’il s’agit aussi de la personnalité des gens, aussi bien en campagne ou qu’en ville. Et par exemple, si on débarque en donnant l’ impression d’une forte condescendance en utilisant le patois local, il est très compréhensible que cela se passe mal.
Une petite nuance: Un Allemand avec une marque dialectale claire n’est bien vu en Suisse que si l’intercompréhension reste très facile. Un Souabe, un Badois encore plus, pas de problème. Un Bavarois qui apprend à garder l’accent mais épure tout le vocabulaire bavarois, aussi. Un Rhénan/Mosellan pourquoi pas. Mais plus on vient d’une région septentrionale, moins le dialecte est le bienvenu, c’est même très clairement une garantie de bouderie éternelle et bizutage hyperdialectal. En clair, moins un Suisse reconnait le dialecte allemand, plus il corse le sien (artificiellement).
Certains lecteurs suisses ne se reconnaitront pas dans ma description, je suppose même que c’est ton cas, Nebenstelle, mais mes longues années en Suisse me permette d’insister sur une situation très nuancée. Dans le positif : Toute forme d’allemand « sud » permet de vivre en Suisse en parfaite harmonie, tant qu’on ne massacre pas leur dialecte soi-même, comme tu le soulignais.
Moi, par contre, c’est haut-allemand version nord tout le temps, je ne demande l’avis de personne. Je crois l’avoir déjà raconté : la seule fois où une collègue m’a envoyé un mail en suisse-allemand, je lui ai répondu vertement en bas-allemand… On ne peut pas dire que cette personne soit devenue une amie…
C’est qu’on connait la même Suisse, alors, c’est déjà ça. Mais je voulais dire que tu ne fais sans doute pas partie de ces Helvètes ouvertement hostiles aux Allemands.