Le FPÖ (et le gouvernement) dans la tourmente

Hier soir, des médias allemands (Süddeutsche Zeitung et Spiegel) ont mis en ligne une vidéo qui a fait l’effet d’une bombe en Autriche… Dans la vidéo datant de 2017, soit peu avant les élections législatives, on voit le chef du FPÖ Strache ainsi que Gudenus (à l’époque un des principaux représentant du FPÖ de Vienne, élu député après les élections) discuter avec une femme issue de l’oligarchie russe. Ceux-ci lui expliquent comment faire don de grosses sommes d’argent à leur parti pour financer la campagne sans que ce don soit signalé officiellement à la cour des comptes. La russe précise qu’il pourrait s’agir d’argent sale. En échange, les représentants du FPÖ lui font miroiter des contrats d’affaire avec l’Etat quand ils seront au pouvoir. Et en particulier ils souhaitent l’achat de médias (notamment le « Kronen Zeitung », 800.000 exemplaires vendus par jour, 2,5 mio de lecteurs) par des gens qui leur sont proches pour pouvoir contrôler l’opinion publique et influencer les résultats électoraux. Strache souhaite un paysage médiatique en Autriche comparable à celui d’Orban en Hongrie.
Le contexte de la vidéo n’est pas clair car il s’agit d’un piège. Les participants russes sont des acteurs et le décor (villa à Ibiza) aurait été loué uniquement pour l’occasion. Le timing étonne aussi, moins de 10 jours avant les élections européennes… Néanmoins, la présence et les propos tenus ont été confirmés par les intéressés; il n’y aurait rien d’illégal, il s’agissait d’une rencontre strictement privée.

Le chancelier (ÖVP) a annoncé ne plus vouloir collaborer avec son vice-chancelier Strache. Les déclarations publiques des uns et des autres devraient se succéder dans la journée. S’avance-t-on vers une fin de la coalition et de nouvelles législatives ? Ou simplement une démission du vice-chancelier et son remplacement par un autre membre du FPÖ (Hofer, ministre des transports et ancien candidat à la présidentielle, a déjà été évoqué) ?

Die geheimen Strache-Videos: Worum es geht - YouTube une vidéo sur la vidéo en question
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Démission de Strache de toutes ses fonctions, idem pour Gudenus. Le chancelier, en accord avec le président, annonce la fin de la coalition et la tenue de nouvelles élections législatives dans les plus brefs délais.

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Les masques tombent… qu’est-ce que ça peut vouloir dire, concrètement pour le FPÖ? Est-ce qu’ils vont avoir une perte de confiance de la part de son électorat?

Trois jours après la mise en ligne de vidéos compromettantes pour l’extrême-droite au pouvoir, pas de sortie de crise en vue, bien au contraire. Après l’annonce de la démission de Strache, vice-chancelier et chef du FPÖ, et la tenue d’élections législatives anticipées à l’automne, se posait la question de savoir comment l’Autriche serait gouvernée dans les prochains mois.

Le chancelier souhaitait absolument l’éviction du gouvernement d’Herbert Kickl, ministre de l’intérieur et secrétaire général du FPÖ au moment du tournage desdites vidéos. Il ne pouvait donc pas ne pas être au courant d’éventuels cas de corruption, d’affaires louches avec les Russes, de financement illégal de son parti etc. De plus, Kickl est une des têtes pensantes du FPÖ, placé à l’extrême-droite de son parti (c’est dire!). Habitué des provocations, il s’est vite révélé être un ministre particulièrement encombrant… Pour le FPÖ, en revanche, pas question de continuer sans Kickl. Si Kickl doit partir, ils partiront tous. Qu’à cela ne tienne! Le chancelier a annoncé avoir proposé au président le limogeage de Kickl, et dans la foulée, les ministres issus des rangs du FPÖ ont présenté leur démission. Voilà que le gouvernement se retrouve en minorité au parlement pour les prochains mois. Une motion de défiance n’est pas exclue pour renverser le chancelier. Celui-ci évoque la nomination d’experts (technocrates, diront certains) pour remplacer les ministres sortants jusqu’aux élections et essayer de contenter tout le monde (et de sauver son poste, diront certains) jusque là.

Effet domino de la décrédibilisation du FPÖ, les coalitions au niveau régional ou communal impliquant le FPÖ sont remises en question. Au Burgenland (est du pays), où la coalition entre les sociaux-démocrates et le FPÖ avait fait grand bruit lors de sa formation, élections très légèrement anticipées prévues pour janvier prochain; la coalition se maintient jusque là. En Haute-Autriche, où les conservateurs sont en coalition avec le FPÖ, pas d’élections anticipées malgré la démission d’un des principaux ministre régional du FPÖ. A Linz, capitale de la Haute-Autriche, 3ème ville du pays, le SPÖ dirige la ville en coalition avec le FPÖ mais a annoncé aujourd’hui la fin de cette coalition.

Le FPÖ commencerait-il à redevenir infréquentable ?
Quel sera l’impact dans les urnes dimanche ?
Kurz réussira-t-il à conserver la confiance du parlement jusqu’en septembre ?

nouvelobs.com/monde/2019052 … roite.html

Le nouveau gouvernement, formé à la suite de la démission des ministres FPÖ et composé de ministres ÖVP ainsi que « d’experts » plus ou moins sans étiquette, n’aura pas survécu longtemps. Le parlement a en effet approuvé aujourd’hui une motion de censure à l’encontre du gouvernement, poussant le jeune chancelier Kurz vers la sortie après un an et demi aux affaires. Le président a nommé l’actuel ministre des finances Löger chancelier par intérim. A la tête des ministres sortants, il gèrera les affaires courantes pour une semaine maximum, le temps pour le président de trouver un nouveau chancelier (une nouvelle chancelière ?) qui sera en charge de gérer les affaires courantes jusqu’aux prochaines élections prévues pour septembre.

Entretemps ont eu lieu les élections européennes. Malgré la vidéo compromettante pour le FPÖ et la crise qui secoue le gouvernement, la droite sort largement vainqueur.
ÖVP 34,9% (+7,9 par rapport à 2014)
SPÖ 23,4% (-0,7)
FPÖ 17,2% (-2,5)
Verts 14% (-0,6)
Neos (libéraux) 8,7% (+0,6)
Deux autres listes tournent autour de 1%.

Le président a annoncé aujourd’hui la nomination de Brigitte Bierlein au poste de chancelier… ou plutôt de chancelière, donc. C’est la première femme à occuper ce poste en Autriche. Elle était jusqu’à présent présidente de la Cour Constitutionnelle, première femme à ce poste là encore. Considérée comme conservatrice, elle ne devrait cependant pas avoir beaucoup d’influence sur le cours de la politique autrichienne étant donné que des législatives sont prévues dans 4 mois.

Un portrait de Bierlein par Der Standard de 2018 lors de sa nomination à la tête de Cour Constitutionnelle.