Attention : Ceci concerne un sujet d’actualité polémique. Donc, n’entrons pas dans des conflits d’idées ou d’opinions, si vous le voulez bien.
Je voudrais vous soumettre quelques extraits d’un bon bouquin. Je vous dirais son titre et son auteur plus tard. Mais, sachez déjà que ce bouquin n’est pas récent, il est même plutôt vieux… et pourtant, en le relisant récemment, je suis tombé à la renverse par la pertinence et l’actualité de l’opinion de son auteur.
Donc, je vous soumet la lecture de ces quelques passages. Vous m’en direz ce que vous en pensez (sans polémique partisane, SVP).
Extraits :
La France est littéralement paralysée pas ses propres peurs. Peur de l’Europe de Bruxelles, peur des inégalités, peur des réformes, etc. Et ce n’est pas une légende : les Francais ont peur des réformes, qu’ils ont toujours redoutées et combattues. Les Francais seraient-ils allergiques aux réformes ? En tout cas, ils protestent avec véhémence, poussent des hauts cris, défilent, pétitionnent, censurent, s’agitent, se soulèvent.
Ils se croient progressistes parce qu’ils aiment la nouveauté. Ils sont, c’est vrai, capricieux et changeants, sensibles à la mode, et ils raffolent de l’air du temps. Qu’il s’agisse de toilettes ou d’idées, de personnages ou de vocabulaire, ils varient volontiers, font un triomphe à celui-ci, délaissent celui-là, se figurant toujours que le plus neuf doit être le plus fiable. Rien ne les séduit d’avantage qu’un nouveau venu, qu’une théorie inédite.
La nouveauté se porte bien dans l’Hexagone, mais le changement est plutôt mal accueilli.
Tant qu’il s’agit de l’écume, de l’apparence, de la surface, tout va bien et rien n’arrête la furia francese. Dès que le fond des choses est en cause, dès qu’un privilège est en péril, dès qu’un droit acquis est remis en question, alors c’est la révolte générale - le changement fût-il raisonnable, réaliste, voire nécessaire, c’est aussitôt la mobilisation générale, c’est bientôt le sentier de la guerre. Les Francais ont horreur des réformes et adhèrent avant tout à une culture d’opposition ou de protestation, quelle que soit la majorité, quelle que soit la personalité dominante, quelle que soit la conjoncture. S’il y a bien une constance dans leur histoir, c’est bien qu’ils n’ont le goût ni du dialogue, ni de l’arbitrage, ni surtout du compromis.
Il leur faut des affrontements bloc contre bloc, des luttes manichéennes, majorité contre opposition, bons contre méchants, vertueux contre pervers. L’Histoire doit être binaire. Foin des négociations, de la diplomatie et même de la synthèse. L’Etat doit avancer de crise en crise, la société se façonner de convulsion en convulsion. La médiation est regardée comme une prouesse mystérieuse, la réforme comme une aventure exotique.
Les Gaulois s’affaiblissaient déjà en s’entre-déchirant jusqu’au suicide, jusqu’à la défaite, jusqu’à la servitude. Les Francais ont la division dans le sang et l’exclusive dans la tête. Pour eux, réformer, c’est renonceer aux triomphes absolus et aux certitudes tranchées, c’est reculer, s’abaisser, abandonner la pompe et le panache, la gloire et l’épopée pour des vertus plus civiles et plus modestes, pour la progressivité contre la rupture, pour la maturité contre le « beau geste ».
Et l’histoire qu’on enseigne aux Francais, les livres d’école sont plein de bruits et de fureur, de batailles et de trahisons. La représentation du monde -de leur propre nation-, c’est le maire du palais arrachant le pouvoir aux rois fainéants, les Armagnacs guerroyant interminablement contre les Bourguignons, les huguenots défiants les catholiques, les sans-culottes abattant la monarchie, les bonapartistes mettant fin à la Révolution manu militari, les orléanistes contestant les légitimistes, etc, etc.
Et, la République finalement enracinée, c’est encore le manichéisme et l’Histoire, les conflits continuent : monarchistes révisionnistes contre républicains, opportunistes contre radicaux, nationalistes contre progressistes, ligues contre gouvernement, socialistes contre bourgeois, et toujours gauche contre droite, jacobins contre européens, libéraux contre socialistes. Il n’est d’Histoire que de crises, de politique que d’affrontements, de société que conflictuelle. La réalité est bien sûr différente, mais la représentation pèse lourd sur les mentalités et les comportements. L’Histoire adule ses conflits et ignore ses réformes. Cela se ressent dans les attitudes collectives.
Les modérés, les pragmatiques, les réformistes ne sont pas pour autant introuvables. Il y a même eu en France des souverains tolérants, des réalistes par bataillons entiers. Mais voilà : la mythologie sociale privilégie les affrontements sur les négociations et les luttes sur les apaisements. Les trompettes de la renommée ne sonnent que pour les généraux, les conquérants, les despotes, les bâtisseurs d’empires, les cavaliers d’Apocalypse, les monarques absolus. Les pacificateurs, les négociateurs, les gestionnaires, les administrateurs, les rassembleurs, les diplomates ne peuvent prétendre à pareil traitement. En France, historiquement, les modérés et les réformistes sont déprisés et dévalorisés. L’Histoire officielle n’aime pas la politique relative, les équilibres et les accomodements. Dans la culture nationale francaise, une grande guerre se trouve toujours placée bien au-dessus d’un bon arrangement.
Durant les guerres de religion, quand catholiques et protestants se massacraient, s’étripaient et s’entreruinaient férocement, les modérés de chaque camp étaient suspectés et menacés par les deux camps. Professer la retenue, la tolérance, le compromis, a fortiori, horreur suprême, la cohabitation de deux confessions, même l’une et l’autre chrétienne, c’est une présomption de traîtrise. Que l’Histoire leur ait donnée mille fois raison ne change rien. Puisqu’ils étaient modérés, ils devaient être sans caractère ; puisqu’ils étaient tolérants, ils devaient être couards ; puisqu’ils étaient réformistes, ils devaient être sans vision. Mêmes réactions, même myopie et même contresens à propos de la Révolution…
Telle est la culture politique francaise traditionnelle, allergique à la tempérance et au gradualisme, organisant le culte des crises, des affrontements. D’ailleurs cet humus politique francais a nourri naturellement l’absolutisme et les révolutions. C’est une mémoire des crises, des ruptures et des conflits, concrétisée par plus de 15 changements de régimes en 2 siècles…
Jusqu’à une époque tout récente, il fallait encore se déclarer pour ou contre le régime politique en place. Il a fallu attendre la maturité de la Ve République pour que, peu à peu, se marginalisent les révisionnistes et que l’on cesse de préparer la prochaine Constitution. Les Francais ont ainsi commencé à découvrir le monde réel, le pluralisme, à la fin du XXe siècle.
Du coup, l’idéologie réformiste reste encore une idée neuve, la règle du jeu social une expérimentation fragile, le pragmatisme et le gradualisme des exemples de vocation tardive dans les consciences, sinon dans la réalité. C’est aujourd’hui seulement que la France accepte de se regarder telle qu’elle est, c’est-à-dire contrainte aux réformes, comme toutes les nations développées. Elle n’a pas fini de payer ce retard historique.
La fronde contre le pouvoir est le coeur même du caractère politique des Francais.
Pourtant les Francais, a fortiori leurs élus, sont convaincus de la nécessité des réformes. Tout se complique dès que l’on passe de la rhétorique aux initiatives concrètes. Car aussitôt s’applique ce réflexe conditionné : une bonne réforme ne peut et ne doit concerner que les voisins. Si elle touche en quoi que ce soit aux statuts des intéressés, de leurs proches, de leurs mandants, c’est sur-le-champ le branle-bas de combat général. Il n’existe, pour les Francais, de bonnes réformes que pour les autres, que théoriques ou impossibles. Qu’elles se précisent, qu’elles se rapprochent, qu’elles se concrétisent, et c’est l’assaut et tout le monde se déchaîne.
Toucher à la grille de salaire de fonctionnaires, s’attaquer aux problèmes des dépenses de santé,… c’est l’affaire de bon sens et même d’évidence. Mais un gouvernement - quel qu’il soit, car les ministères de droite ont toujours eu à cet égard autant de déboires que les ministères de gauche - prépare-t-il un plan, met-il au point un projet, annonce-t-il des mesures, et c’est la jacquerie, l’explosion, l’indignation générale. Tout le monde se sent menacé de faire les frais de la réforme. Les réformes peuvent-elles demeurer aussi exceptionnelles ? Doivent-elles demeurer des prouesses ? Les réformes doivent-elles relever de la virtuosité ?
Pour ne prendre qu’un exemple, mais sensible à chacun - la question de l’Education nationale. La croissance du nombre des élèves, étudiants et des enseignants, malgré un effort financier sans précédent, a aboutit à une forme de gigantisme ingérable. Du coup, chacun se plaint amèrement : les enseignants protestent contre la modestie de leur traitement (même récemment revalorisé), contre les effectifs des classes, toujours trop lourds, le retard de l’équipement pédagogique, le niveau sans cesse déclinant de leurs élèves ; les élèves justement, eux, protestent contre la lourdeur des programmes, l’incertitude des débouchés, le despotisme des orientations, parfois la vétusté des locaux ; les parents, pour leur part, protestent contre la complexité du système, la difficulté du dialogue, la pauvreté des informations, l’indifférence de la bureaucratie aux conséquences pratiques de l’organisation des horaires ; les chefs d’établissement se plaignent de l’irresponsabilité des parents, du découragement des enseignants, de l’extrême minceur de leur marge d’initiative.
Personne n’est satisfait, tout le monde est concerné, chacun jette la pierre à l’autre.
Des exemples analogues abondent. La France est riche en réformes nécessaires. Elle est encore plus riche en réformes ratées.