Aujourd’hui, les réformes du marché du travail menées entre 2003 et 2005 sont présentées comme étant à l’origine de la forte réduction du chômage en Allemagne. Mais prononcez leur nom, « Hartz », et l’on vous répondra aussi « précarité », « pauvreté » voire « exclusion ». En un peu moins d’une décennie, les réformes Hartz ont transformé le paysage économique et social allemand.
La philosophie des lois Hartz, annoncées en 2003 dans le cadre du programme de réformes « Agenda 2010 », était de privilégier l’emploi, même mal rémunéré, à l’inactivité. Comme dans d’autres pays (Danemark, Royaume-Uni), le dispositif comportait plusieurs mesures dites « d’activation » plus ou moins drastiques (voir notre fiche), visant à inciter et à aider les chômeurs à retrouver un emploi. La plus emblématique d’entre elles, la loi « Hartz IV », entrée en vigueur le 1er janvier 2005, a ainsi réduit dans la pratique l’aide de l’État au minimum vital au bout d’un an de chômage.
Stratégie gagnante face au chômage
Ce changement de stratégie face au chômage a été controversé en Allemagne depuis l’origine. Aujourd’hui, cependant, les rigueurs que le pays s’est imposées sont, aux yeux de beaucoup, à l’origine du petit « miracle » que son marché du travail connaît depuis plusieurs années. Malgré la violence de la récession de 2009, puis la crise de la dette, le chômage a connu depuis 2006 un mouvement de baisse quasi-ininterrompu. En novembre 2011, le nombre de demandeurs d’emploi était redescendu à 2,713 millions, alors qu’il dépassait les cinq millions au début de l’année 2005. En un peu moins de sept ans, le taux de chômage allemand a fondu, passant de 12,1 % à 6,4 %.
L’évolution est tout aussi impressionnante si l’on considère le seul chômage de longue durée (plus de douze mois). Selon une étude de l’Agence fédérale pour l’emploi (BA), il représente environ un tiers des demandeurs d’emploi en 2011. Il a « fortement décru depuis les réformes du marché du travail », alors qu’il n’avait cessé d’augmenter dans les années précédentes. De plus, « la fréquence des retours sur le marché du travail primaire à la sortie du chômage de longue durée a augmenté ». Aux yeux de la BA, « les réformes du marché du travail sont une raison majeure de cette évolution ».
Pauvreté
Les réformes ne sont, certes, peut-être pas l’unique raison de la réduction du chômage en Allemagne. Mais force est de constater aujourd’hui que leur bilan est globalement positif du point de vue de l’emploi.
Le bilan social, en revanche, est moins consensuel. La loi Hartz IV, en particulier, est devenue synonyme de précarité accrue. Quelque 8 % de la population allemande doit aujourd’hui, vivre avec « l’allocation Hartz IV », soit 364 euros par mois plus le loyer et les frais de chauffage.
Ces personnes affichent des situations très différentes les unes des autres. Certaines, même, travaillent. Mais elles gagnent trop peu pour sortir du dispositif. Ces travailleurs pauvres, qui cumulent travail et minimum social, incarnent aujourd’hui aux yeux de l’opinion une nouvelle pauvreté. Ils illustrent le creusement des inégalités à l’heure où la majorité a retrouvé confiance dans l’avenir.
Des questions complexes
Cette évolution a même motivé un jugement de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en février 2010. Les juges ont demandé au gouvernement d’amender la loi Hartz, en rappelant que la Loi fondamentale allemande garantit à chacun un « minimum vital digne » qui ne se réduit pas aux besoins matériels, mais inclut également la participation à la vie de la société. La loi a été, depuis, réformée afin de permettre aux enfants d’allocataires de bénéficier de repas chauds à la cantine, de soutien scolaire, d’activités artistiques et sportives ou encore de sorties scolaires.
Ainsi, destinées à rendre le marché du travail plus flexible, les réformes Hartz affichent un bilan positif. Mais elles n’en ont pas moins soulevé des questions complexes, comme le remarquait Brigitte Lestrade en 2010 : « comment éviter l’accroissement de la pauvreté dans la population, notamment celle des enfants ? Comment instaurer un système qui, d’un côté, ne cantonne pas [ses] bénéficiaires dans la dépendance financière mais, de l’autre, ne décourage pas les travailleurs à accepter un emploi faiblement rémunéré ? Quelle gouvernance prévoir pour un système qui coûte cher au contribuable, mais qui est perçu comme une machine à créer la pauvreté par les bénéficiaires ? » (B. Lestrade, Les réformes sociales Hartz IV, Note du Cerfa n° 75, 2010).