La colère gronde depuis pas mal de temps dans le vieux quartier berlinois de Prenzlauer Berg . Les « Souabes » accourus ici après la chute du mur, seraient en train de « coloniser " Prenzlauer Berg.
Les politiques s’en mêlent ; Wolfgang Thierse (SPD, ancien vice président du Bundestag), habitant le quartier depuis 40 ans, leur reproche de n’avoir aucun respect pour la culture et le dialecte berlinois et d’être comme qui dirait, en pays conquis. Bien sûr les réponses côté souabe ne se sont pas fait attendre, à commencer par celle de Cem Özdemir ( Grüne), qui se surnomme lui-même ;« der anatolische Schwabe = le Souabe anatolien , et de Gunther Oettinger , ancien ministre - président de Baden Württemberg ; les Souabes ont apporté leur richesse et leur savoir faire à Berlin et , sans eux, la capitale ne serait pas aussi florissante.
Clochemerle an der Spree , tempête dans un verre d’eau ? Pas si sûr , vu certains graffitis ; » Mort su Souabes ! »
Je laisse la parole à Pascal Thibaut, journaliste connaissant bien Berlin, qui, dans son blog, évoque très bien ce problème.
En fait, il y a immigrant et immigrant, et en général les flux d’immigration « bénéfique » résultent de grands bouleversements historiques.
A la fin de la Guerre de 30 ans, le Brandebourg est totalement ruiné. L’Electeur du Brandebourg va profiter de la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 pour faire venir des protestants français pour repeupler la province et Berlin. La plupart de ces réfugiés étant des commerçants et des artisans, leur savoir-faire va contribuer à la relance économique de la région. Evidemment, ils amènent avec eux leur langue, c’est un premier apport non négligeable du français dans la langue allemande.
A la fin de la guerre franco-allemande en 1871, Berlin devient capitale du nouvel Empire unifié. Les 5 milliards extorqués à la France au traité de Francfort seront très utiles pour la construction d’une capitale digne de ce nom, avec la main d’oeuvre conséquente, provenant essentiellement des régions orientales de la Prusse, notamment de Silésie. Les Silésiens, qui sont souvent de souche slave germanisée, vont constituer des paroisses catholiques dans une ville essentiellement protestante, avec des noms qui fleurent bon la Pologne.
Après la partition de l’Allemagne et la constitution de deux Etats allemands en 1949, le secteur soviétique de Berlin devient « Berlin, capitale de la RDA », avec un appareil administratif en majorité d’origine saxonne, ce qui est normal, c’est la région la plus peuplée du pays, et Ulbricht est lui-même saxon.
Après la chute du mur et la réunification, Berlin redevient la capitale panallemande, avec une immigration provinciale pas seulement souabe. Seulement, les Souabes ont un fort accent, et ils passent pour des gens riches dans une ville prolétarisée à faibles revenus, notamment dans les quartiers ouvriers et bohêmes de l’ex-capitale de la RDA, où rien n’a été fait (et avec quel argent aurait-on pu entretenir le parc immobilier qui n’avait pas été détruit pendant la guerre) sous le régime socialiste, plus soucieux de construire des logements neufs tant dans le centre que dans la périphérie. Il va de soi qu’une modernisation des logements souvent centenaires va de pair avec une augmentation des loyers et des charges, on n’a rien sans rien.
On notera d’ailleurs que les Souabes, dans certaines régions hors d’Allemagne, servent souvent de qualificatif générique pour tout ce qui est allemand d’Allemagne, que ce soit en Alsace, en Suisse, ou en Serbie, un terme générique pour les Empires centraux pendant la Iere guerre mondiale.
Par ailleurs, les souabes sont quelque part bavarois, ont ils réellement une chance de se faire aimer à Berlin?
En guise de clin d’oeil, un résumé rapide de la situation :
Les berlinois ‹ de souche › ne supportent pas les hipsters,
ces derniers ne supportent pas les souabes,
on peut ajouter que des berlinois ne supportent plus les touristes et le font savoir
…
Ce qui fait d’eux des boucs émissaires idéaux, car instantanément identifiables !
C’est cette mentalité selon laquelle il faut trouver des boucs émissaires (jadis, ce furent les juifs, puis les turcs , en France, les arabes -toutes nationalités confondues ) qui me fait très peur dans le monde actuel .
C’est toujours plus commode d’accuser son prochain que de reconnaître soi-même qu’on a fait une connerie ! Souvent, le seul fait d’être différent, que ce soit par l’accent, l’aspect, vous rend suspect. Comme le disait Malaparte dans « Ces sacrés Toscans » (Maledetti Toscani) : « Qui c’est celui-là ? Qui c’est qui nous l’a envoyé ? Pourquoi qu’il ne va pas se la manier un peu plus loin ? »
Pour ma part, je parle allemand (et le dialecte tyrolien) avec un fort accent alémanique. Quand j’étais étudiant à Vienne, on m’a souvent demandé si je venais du Vorarlberg, voire, en public, quand je pestais contre les transports en communs à Vienne dans les années 70, qui me semblaient tout sauf performants (il n’y avait pas encore le métro, et la lenteur des trams me portaient au désespoir quand je comparais avec d’autres villes), on m’a dit de retourner d’où je venais, à savoir… en Allemagne ! Les Viennois sont des râleurs impénitents, mais qui n’admettent pas qu’on râle contre eux ou qu’on enmbouche leur cor, et qui attendent en revanche des compliments dans le sens du poil.
Les berlinois n’aiment pas les touristes, ni les Souabes… quand je pense qu’on nous présente Berlin comme LA capitale internationale, ouverte et branchée…
Un ami m’a parlé de ce « problème » d’embourgeoisement de Berlin dû en partie aux allemands de l’Ouest. J’ai vraiment l’impression que c’est un phénomène de société unique en Europe (du point de vue des capitales) surtout en Europe de l’Ouest.
C’est bien normal, compte tenu de ce qu’aucune capitale au monde n’a connu ce qu’a vécu Berlin, écartelée entre deux régimes politiques et économiques antagonistes. Berlin est pratiquement une nouvelle capitale qui se construit peu à peu et qui essaie de s’imposer face aux grands centres économiques et logistiques qui symbolisaient l’essor ouest-allemand sous la république de Bonn, tandis que les autres capitales n’ont jamais cessé de jouer leur rôle.
Bon résumé d’Andergassen pour les différentes strates d’émigrations à Berlin.
La cristallisation des « problèmes » d’une cité ou d’un pays sur une éthnie particulière n’est pas nouveau.
mais là où l’on atteint un niveau au dessus, c’est que ce sont des allemands eux-mêmes qui sont stigmatisés.
une remise en cause de l’unité allemande ? au-delà de l’antagonisme Ossies-Wessies.
juste en passant les souabes n’aiment pas plus les prussiens…
et cela depuis 1866…
Petite précision due à Harald Martenstein ; plusieurs quartiers auraient leur « bête noir »" (Feindbild) attitrée ; à Friedrichshain, les « Yuppies » , à Prenzlauer Berg , les Souabes et à Kreuzberg et Neukölln , les « hipsters ».
Curieux (pour moi) de voir comment ce vieux mot de jive (argot des jazzmen)que je connaissais depuis très longtemps et qui date de l’époque bebop (années 50- 60) a évolué dans sa signification.
Ca commence comme hippie (plutôt sympathique à mes yeux), et ça se finit comme gangster ! (Beaucoup moins sympathique.)
Une statue recouverte de nouilles. Le site Free Schwabylon revendique l’action.
Les Souabes contre-attaquent. Des nouveaux venus cherchent encore la bagarre après les remarques ironiques du vice-président du Bundestag W. Thierce sur le « réseau-souabe » dans le quartier de P-berg. C’est sur la Kollwitzplatz, là où habite W. Thierce, que les Spätzle ont été lancées.
[…]
Un groupe nommé Free Schwabylon revendique cette attaque à la nouille sur son site. Des textes et des photos de la statue ont été mis en ligne lundi matin. Ce groupe écrit ne pas accepter que les souabes soient traités comme des citoyens de seconde classe par les berlinois. Cette statue serait le symbole d’une minorité berlinoise autoritaire. « Nous avons envoyé les Spätzle car nous sommes en colère. » Il exige aussi la création d’un quartier souabe autonome à berlin. Le Schwabylon devrait se trouver entre la Danziger Str., la Metzer Str., la Schönhäuser Alle et la Prenzlauer Allee.
Bon, à mon avis, ça fait moins de mal à l’oeuvre que des chewing gums ou des graffittis.
Ca fait plutôt penser à un canular (pas de très bon goût, certes, mais n’est-ce pas là une des composantes du canular ?)