Martin Walser, inépuisable défricheur
Vieillir ? À ses yeux, cela ressemble à une passionnante découverte. En 2007, lorsqu’il fêta ses 80 printemps, Martin Walser confia au magazine Der Spiegel : « Ce qu’il y a de grandiose [dans le fait de vieillir], c’est que c’est une terre vierge qui se déploie. […] C’est un champ de mines et une pelouse en fleurs, c’est le plus rocailleux des chemins et une jungle grandiose. Je ne le savais pas ». Cinq ans plus tard, l’écrivain s’apprête à célébrer ses 85 ans (le 24 février). Et il n’a, semble-t-il, rien perdu de son élan : le virtuose, éclectique et provocateur homme de lettres allemand publie deux nouveaux ouvrages, aux horizons on ne peut plus différents.
La vieillesse, une terre vierge
Le premier, intitulé Meine Lebensreisen, rassemble les notes de voyages qu’il a rédigées entre 1952 et 1981. Martin Walser est un homme de terroir, un écrivain profondément ancré dans sa région, celle du lac de Constance, au sud-ouest de l’Allemagne. Mais cet ancien reporter pour la radio et la télévision n’en a pas moins beaucoup voyagé. Il a parcouru le monde de Londres à Paris en passant par la Pologne, le Portugal et les États-Unis.
Toujours en quête d’observations et de découvertes, Martin Walser s’est posé, à travers ses pérégrinations, la question du sens. Et celle-ci relie Meine Lebensreisen à son autre nouvel ouvrage, Über Rechtfertigung, eine Versuchung. Sous ce titre, que l’on pourrait traduire par « De la justification, une tentation », il se lance dans une quête existentielle et spirituelle, convoque Kafka, Dostoïevski, Jean Paul et Karl Barth et condense l’enjeu en une formule très personnelle : « Lorsque j’entends un athée dire que Dieu n’existe pas, ceci me vient à l’esprit : mais il me manque. À moi ». Il pose ainsi la question de la justification de l’être humain, de l’individu.
Considéré comme l’un des principaux écrivains contemporains de langue allemande, couvert de prix littéraires, Martin Walser n’a en tout cas, à titre personnel, sans doute plus rien à « justifier », ni à prouver. Sa plume provocatrice a suscité des polémiques. La plus virulente est sans doute celle qu’il déclencha en dénonçant « l’instrumentalisation de l’Holocauste », lors de la remise du Prix de la paix des libraires allemands, à Francfort, en 1998.
Provocateur et virtuose
Mémorable également fut, en 2002, la parution de son essai Tod eines Kritikers (Mort d’un critique), où il s’attaquait vertement au « pape de la critique littéraire allemande » et rescapé du guetto de Varsovie, Marcel Reich-Ranicki. À l’époque, l’éditeur du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (où travaille Reich-Ranicki) refusa de publier des extraits du livre dans son journal au motif que l’auteur jouait avec les « clichés antisémites ». Une étiquette de plus pour Martin Walser qui, depuis les années 1960, fut taxé de communisme (après son engagement contre la guerre du Vietnam), puis de nationalisme. Des reproches qui le blessent, jusqu’à aujourd’hui, confie-t-il. « L’on se sent agressé. Mais je sais qu’on ne se rend jamais plus bête qu’en se défendant ».
Au-delà des débats (et des inimitiés qu’ils lui ont values), Martin Walser demeure l’une des grandes voix de la littérature allemande d’après-guerre. Un écrivain éclectique, qui s’est distingué autant par ses romans (Ehen in Philippsburg, Der Sturz, Das Schwanenhaus, Ein springender Brunnen etc.) que par ses nouvelles (Ein fliehendes Pferd etc.), pièces de théâtre, poèmes ou essais. Un admirateur de Proust, un virtuose du langage. Un explorateur, aussi, des relations entre l’individu et les chaînes sociales et psychologiques qui le lient. Ses personnages souffrent d’être enfermés dans des rôles et dans les attentes que les autres projettent sur eux. Mais, ils ne meurent pas. Walser ne renonce pas à l’espoir.
Martin Walser
Né le 24 mars 1927 à Wassenburg, près du lac de Constance, issu d’un milieu bourgeois, catholique, il perdit son père à l’âge de dix ans. À douze ans, il écrit ses premiers poèmes. Après la guerre, il passa son baccalauréat à Lindau avant d’étudier la littérature, l’histoire et la philosophie. En 1950, il soutint sa thèse de doctorat sur l’œuvre de Franz Kafka. De 1949 à 1957, il travaille comme reporter et auteur de pièces radiophoniques pour la radio-télévision. En 1957, il publie son premier roman, Ehen in Philippsburg (Des Mariés à Philippsburg), qui lui vaut immédiatement le Prix Hermann Hesse. Il vivra, dès lors, de sa plume. Couvert de prix littéraires, il recevra le principal d’entre eux, le Prix Georg Büchner, en 1981.