Nicomède de Pierre Corneille : le triomphe de la rébellion

Il y a quelques jours je me suis rendu dans un théâtre de Lyon afin d’assister à la représentation d’une tragédie peut connue de Pierre Corneille : Nicomède.

Je tiens à vous en parler bien qu’elle n’ai aucun lien particulier avec l’Allemagne parce que je pense que vous ne la connaissez pas. La tragédie étant en alexandrins et d’une durée d’environs deux heures, elle exige une attention de tous les instants pour éviter de perdre le fil de l’histoire. Je vais essayer de vous la résumer ici.

Nicomède est le fils aîné du roi de Bithynie, Prusias (dans l’actuelle Turquie). Il rentre au palais après plusieurs années d’absence passées en compagnie de son armée. Il vient apporter à son père de nombreuses conquêtes et la soumission de nombreux peuples. Il est farouchement opposé à l’influence de Rome représentée par son ambassadeur Flaminius qui arrive justement de Rome en compagnie du fils cadet du roi, Attale dont toute l’éducation a été effectué à Rome et qui s’en montre un ardent défenseur.

Ils sont tous les deux en pleine force de l’âge et peuvent prétendre tous deux au trône de Bithynie bien que ce dernier revienne de droit à l’aîné. Ils vont s’employer à l’obtenir de leur père, roi faible qui est passé sous l’influence de Rome.

Arsinoé, sa femme est ambitieuse, extrêmement belle et intrigante. Elle règne à la cour et domine son mari. Elle déteste Nicomède né d’un premier lit qu’elle veut faire assassiner afin de placer son jeune fils Attale sur le trône à la place de l’aîné car elle s’est placée du côté de Rome.

Laodice, la très jeune et très séduisante reine d’Arménie est une farouche rebelle qui s’oppose à la mainmise de Rome sur la Bithynie. Son intransigeance est extrême et la suite prouvera que pour imposer sa volonté elle n’hésite pas à utiliser les armes à feu qui ont pour elle l’avantage de régler les problèmes plus rapidement et surtout à son avantage.

Elle se trouve à ce moment même au palais car elle doit épouser le futur roi. Elle est follement aimée des deux frères mais elle préfère de très loin Nicomède le rebelle qui est son amant. Elle s’oppose comme lui à la politique annexionniste de Rome.

L’ambassadeur de Rome rencontre tour à tour les deux amants et les menaces des foudres de Rome s’ils continuent à se rebeller. Toutefois ils ne cèdent pas et refusent farouchement l’oppression. Il dit également à Attale que, dans le cas où il deviendrait roi jamais Laodice n’acceptera de se donner à lui. Dans ce cas il envisage d’utiliser la violence pour l’obliger à lui céder.

La très intrigante et très voluptueuse Arsinoé promet à son royal mari de folles nuits d’amour s’il accepte de céder son trône à Attale. Il cède bien entendu à l’attrait du sexe et aux pressions plus viriles de l’ambassadeur de Rome Flaminius. Il déclare alors qu’Attale sera proclamé roi dès le lendemain.

Croyant la partie définitivement gagnée l’ambassadeur de Rome révèle alors au futur roi de Bithynie qu’en réalité, loin de lui apporter son soutient Rome ne cherche qu’a affaiblir son royaume pour pouvoir s’en emparer plus facilement par la suite. Attale sort immédiatement, fou de rage.

Le peuple se révolte alors et réclame Nicomède comme étant son seul roi légitime.

La reine d’Arménie se retrouve alors en compagnie de la reine-mère et décide de lui imposer sa volonté par la force en utilisant comme argument une arme à feu. Elle tue l’une de ses domestiques puis lui met le révolver sur la tempe afin qu’elle comprenne bien qui commande désormais au palais.

Arsinoé lui affirme alors que son amant a été capturé par traîtrise et qu’il se trouve en ce moment même en route pour Rome sur la galère de l’ambassadeur.

Alors il apparaît brusquement dans toute sa majesté en compagnie de Flaminius et du roi. Il affirme avoir été délivré par un ami inconnu. Attale qui était resté dans l’ombre jusqu’à ce moment se dévoile et affirme que c’est lui qui a délivré son frère Nicomède de l’emprise des Romains, la preuve : il a en sa possession sa bague qu’il montre à l’assistance stupéfaite qui comprend que tout est perdu. Il a donc changé de camps et fait parti désormais des rebelles.

Le roi continue de régner mais il est désormais sous l’emprise exclusive de son fil aîné qui lui dicte sa conduite à l’égard de Rome.

L’ambassadeur se retire furieux en annonçant que Rome se vengera de cette insulte faite à son honneur.

Le spectacle montre clairement la jouissance sans frein du pouvoir, sa théâtralité et l’abjection liée à cette collaboration de potentats. Bien qu’elle s’intitule tragédie, la pièce ressemble plus à une farce noire malgré les sombres évènements qui en font la trame, c’est la comédie qui l’emporte le plus souvent. Corneille manie délibérément l’ironie et la distance, et chercha à nous faire admirer le courage des résistants autant que l’habileté diabolique de Rome. La pièce est d’une actualité exceptionnelle, et j’ai désiré entendre ses résonances nombreuses à notre époque. Elle glorifie un couple de jeune résistants qui se dressent contre la tyrannie.

Brigitte Jacques-Wajeman, metteur en scène.

Depuis plusieurs mois je me suis penché sur les mouvements de rébellions qui ont agités nos sociétés contemporaines à partir de 1945. A cette occasion j’ai pu étudier le comportement d’un certains nombres d’hommes et de femmes qui par leur action, souvent violente ont marqués cette histoire souvent tragique.

Je ne pensais pas que cette pièce de Corneille pourrait me rappeler cette si brûlante actualité et être à ce point révélatrice d’une lutte entre oppresseurs et opprimés. Cette lutte elle-même semble se perdre dans la nuit des temps, depuis le jour où un homme ou une femme se sont élevés contre les systèmes totalitaires, qu’ils se cachent derrière un semblant de démocratie avec ses lois d’exceptions hypocrites, ses procès truqués et si monstrueusement accusateurs, ses prisons de haute sécurité et ses quartiers d’isolement total comme la section silencieuse de Cologne-Ossendorf ; ou qu’ils montrent directement à nos yeux leur hideux visage.

La punition des rebelles étant souvent considéré comme la seule alternatives possible, la violence d’État s’opposant alors à la propre violence des rebelles.

Nous nous trouvons alors dans l’obligation de nous interroger sur notre propre capacité à nous rebeller face à un ordre que nous estimons, à tort ou à raison, injuste. L’usage de la violence étant souvent considéré comme le seul moyen de faire plier cette réalité. C’est cette capacité à nous interroger sur notre propre avenir qui nous dicte notre ordre moral en nous imposant parfois des choix qui dépassent, et de très loin, nos misérables vies.

J’ai été frappé par l’extraordinaire beauté et la volonté de fer de la très rebelle et très désirable reine d’Arménie remarquablement jouée sur scène par une actrice qui « vivait » véritablement ce personnage à la fois si troublant et si pleinement humain.

Comme quoi les femmes, peut-être plus que les hommes à cause de leur idéalisme, sont capables de nous étonner, de nous troubler, en un mot de nous aider à devenir nous-même des hommes libres.

C’est en cela que la femme, égale de l’homme, lui est un partenaire non seulement indispensable mais vital, lui assurant ainsi sa propre liberté.

" Il faut faire exploser le passé dans le présent."
Walter Benjamin

« Seule la vérité nous rend libre. »
Jean 8-32

Comme disait quelqu’un (qui n’est plus sur le forum):« je fais remonter le fil pour les nouveaux. » :mrgreen:

Tu penses à ma place maintenant ? :unamused: :nul: