Ostblöckchen - Eine Kindheit in der Zone

Ceux qui ont déjà lu ou liront le petit livre de Michael Tetzlaff – je gage qu’en France ils ne seront pas nombreux, puisque le livre n’a pas été traduit – saura aussi que cet extrait ne rend que partiellement compte des traits narratifs de Ostblöckchen. Peut-être ai-je aussi été fasciné par le portrait d’Ulrike, quoi qu’il en soit, j’ai choisi ce passage sans hésiter.

Le livre, paru en 2004, inclut 38 récits, dont une partie a été publiée au fil des années dans la Frankfurter Rundschau. Avec Ostblöckchen, Tetzlaff n’a sans doute jamais aspiré à pondre un chef-d’œuvre de la littérature mondiale, néanmoins il est parvenu à réaliser une œuvre mineure, qui possède de nombreux atouts.

La DDR-Zeit a été, une fois revolue, la source d’inspiration privilégiée pour nombre d’auteurs. Le public francophone a été probablement intéressé en premier lieu par la vague cinématographique, notamment grâce à des productions comme Sonnenallee, Goodbye, Lenin ! ou, plus récemment, La vie des autres. Les récits de Tetzlaff sont pourtant bien différents : ce sont des histoires marquées par leur caractère provincial et c’est justement ce qui les rend intéressantes.

Le plus grand mérite de Ostblöckchen est à mon sens celui d’avoir rapproché ses lecteurs au quotidien de la RDA. De brefs traits de pinceau, des bravades d’enfant, des histoires drôles et une galerie très bariolée de personnages et caricatures ont permis à l’auteur de nous montrer que dans l’Allemagne socialiste, à côté des évidentes dérives et absurdités du régime, il y avait bien une vie-de-tous-les-jours. Avec ses joies – comme faire le tour des fournisseurs en Wartburg avec l’oncle Peter – et ses grisailles.

Les soirées passées à fumer des cigarettes qui brûlent la langue ; des soirées qui, comme les cigarettes, se consomment dans l’attente d’un événement quelconque, qui vienne balayer l’ennui (en attendant Godot, dirait-on) ; les bouteilles d’alcool achetées en cachette, en profitant d’une sortie avec l’école ; les proches, ennuyeux et casse-pieds, à qui il faut éventuellement dire un poème, s’il viennent vous rendre visite et se saoûler avec la bière achetée par papa ; les voisins, le bistrot du village, les équivoques ; et aussi mami Lisbeth et oncle Peter, qui décrè le 17 juin jour férié, pour commémorer la révolte de 1953, et invite à la fête Stasi-Helga ; les sorties à Gera, la ville la plus proche et, en même temps, l’endroit le plus ennuyeux qui soit au monde ; le premier jour à l’école maternelle ou en primaire, où l’on se gêne de devoir marcher main dans la main avec un camarade ; le premier béguin : tout cela arrivait aussi bien en Allemagne de l’Est que dans ma petite province.

Les récits se déroulent principalement en Thuringe. Berlin est à plus de 200 km. Bien qu’une cinématographie et une littérature trop souvent berlinocentriques nous exposent au risque de l’oublier, la RDA ne se résume pas à Berlin-Est. Pour une grande partie des citoyens de la RDA Berlin-Est n’était d’ailleurs pas le lieu de résidence, mais la ville du marché noir et du Palais des Larmes ainsi que la capitale d’un État très centralisé. Autrement dit, la plupart des allemands de l’Est n’y vivait pas : elle y allait – probablement plus souvent ou du moins pour d’autres raisons que de nos jours, où les grandes chaînes de supermarchés et de magasins se sont établies dans toutes les villes et les Länder bénéficient d’une plus large autonomie par rapport aux Bezirke de l’ancienne RDA. L’auteur même s’y rendra parfois avec ses parents.

Dans le livre, le regard d’un enfant plein de malice et un peu indolent est le point décalé d’observation, à partir duquel l’auteur parvient à évoquer de maniere originale les particularités de la vie en RDA, des journées de corvée dans les coopératives agricoles (LPG) à l’obligation de manifester le 1er Mai – et la liste serait encore longue. Tetzlaff tisse son récit sur un ton ironique et léger, cependant il ne cache pas les contradictions du système ou les difficultés que celui-ci pose à la population ; bien au contraire, on devrait lui reconnaître le mérite d’avoir montré que ces contradictions et ces difficultés ne s’arrêtaient pas au Stasi et au Mur (deux aspects qui dans le livre ne jouent qu’un rôle très marginal). Qui plus est, l’auteur ne néglige pas les manies absurdes qui caractérisent le régime, telle la prolifération abusive de sigles et acronymes, dont le père de Michi, l’oncle Peter et l’ami Jens s’amusent à fausser la signification (ainsi l’FDJ devient-elle la forme abrégée de « ficken darf jeder »).

Enfin, dans Ostblöckchen ce sont aussi les objets Made in DDR qui font leur apparition, les mêmes qui aujourd’hui bien souvent font le bonheur des collectionneurs. Mais, contrairement aux répertoires kitschs des collectionneurs « ostalgiques » – vous y trouverez de vieux magnétophones Geracord à côté de porte-PQ tricolores embellis d’une couronne d’épis, d’un marteau et d’un compas – les récits de Tetzlaff replacent ces objets dans leur contexte original. Ils nous permettent parfois d’en rencontrer de beaux et pourtant près d’être oubliés, telles les marionnettes tchèques Spejbl e Hurvínek.

Si quelqu’un se sent prêt à s’y attaquer, Ostblöckchen est un livre qui pourrait se lire en un souffle. Je pense cependant que, tel du vin (à vous de juger si bon ou mauvais), on l’endure beacoup mieux en sirotant de petites gorgées.

P.S. : ne faites pas trop cas de la qualité de ma traduction. Qui plus est, l’extrait que j’ai cité ne veut en aucun cas inciter au tabagisme. Mieux vaut remplir sa vie avec autre chose que de la fumée.