Philipp Kerr - Romans Bernie Gunther

J’ai hésité à créer un sujet là-dessus… ce n’est pas de la littérature allemande ni d’un auteur allemand, mais ça se passe tout de même en Allemagne.
Je suis en train de lire la Trilogie berlinoise du britannique Philipp Kerr (a priori, aucun lien avec l’écrivaine britannique d’origine allemande Judith Kerr). C’est une série de romans mettant en scène l’ex-flic et détective privé Bernie Gunther à Berlin sous le régime nazi. Côté intrigue criminelle, rien à redire, c’est très bien ficelé. Côté réalisme historique, par contre, je n’en sais rien ! Ca ne m’était même jamais venu à l’idée qu’il pût y avoir des détectives privés. Des avis sur la question ? Quelqu’un l’a lu ?

Par contre, côté stylistique, je suis mitigée… J’aime bien les dialogues (contrairement à ce qu’on pourrait s’attendre de la part d’une histoire criminelle sous le régime nazi, c’est très drôle !), mais les descriptions sont vraiment lourdingue de comparaisons et de métaphores (à toutes les lignes…). Et je trouve dommage que le traducteur choisi n’ait manifestement aucune connaissance de l’allemand et probablement pas beaucoup de l’Allemagne (et qu’il n’ait pas pris le temps de se renseigner) : dès que des noms propres sont cités, particulièrement typographiques, ça va de travers. Petit florilège :
-tous les noms de rue sont traités sans article : « dans Kurfürstenstrasse », « longeant Seidelstrasse », « en direction de Potsdamer Platz », « au numéro 43 d’Admiralstrasse », « de Potsdam à Kurfürstendamm »
-les mots saucissonnés en deux : Columbus Haus, Hall Platz
-« en sortant de Pschorr Haus »
-« l’aéroport Tempelhof »
-« la fontaine Spindler Brunnen »
-« au cimetière Nikolai », « en l’église Nikolai située sur le marché Molken » ( :S )
-« l’île Musée »
-« le parc Treptower »
-« l’auberge Grosse Zug »
-« Hans Lobbes, numéro trois du Reichskriminaldirektor »

  • et le meilleur pour la fin : « les saucisses de Bockwurst et celles de Francfort » :laughing:

Et quelques questions pour les experts :

  • Zellengefängnis : ne dirait-on pas « prison de Moabit » en français ?
  • J’ai appris le terme Märzveilchen, désignant les opportunistes ralliés tardivement au parti nazi. Mais quand on le saisit sur Internet, on ne trouve pas grand chose là-dessus (sauf botaniquement parlant). Est-ce (était-ce ?) vraiment un terme usité ?
  • Je sais parfaitement que les Franconiens ne se considèrent pas comme Bavarois. Mais un Berlinois appellerait-il un habitant de Nuremberg « Bavarois » ?

Wooah!!!, une jolie enquête linguistique Madame le Docteur Watson :wink: tu n’aurais pas des petits tuyaux sur internet à nous indiquer.

Une spécialiste, non, mais l’enquête m’intéresse. Seidelstrasse, ça m’a ému, car même les militaires français vivant là-bas disaient la Seidenstrasse, en fait ce traducteur aurait du dire « Route de la Soie » cela aurait été plus marrant.

Attends, ça me revient, ce traducteur a voulu de toute bonne foi aller à Berlin, bien sûr. Et quelle méchante dame, toi Sonka tu fais, de cet infortuné faire le procès.

En effet, il se trouve qu’ arrivé à la frontière, disons Kehl, alors qu’il se croyait à Kiel il a cherché désespérément le village de Umleitung et s’est retrouvé bloqué dans la Einbahnstrasse. Par miracle il s’en est sorti grâce à un autochtone qui lui aurait dit Du, grosser Schnurrbart . Et notre traducteur, bien sûr l’a fortement remercié sans pour le moins du monde se douter que, cet être étrange était aussi Français ou peut-être bien AoXien. Mais de dépit, en France ce traducteur s’en est retourné. Au triste sort de cette personne, humblement je compatis

Bon, j’arrête de déconner mais je ne pouvais pas résister :laughing: !!! Mais maintenant, je vais être sérieuse

En tout cas pour Prison de Moabit, j’ai sans doute un peu procédé comme toi, au départ (peut-être?) : vérifier les occurences et j’en ai trouvé tout de même 26 000 qui corroborent et hop un petit coup de Wikipedia et là, en regardant les articles en anglais et en allemand, cela a l’air de coller.

Après ce n’est qu’un début de démarche. De plus même si le terme Prison de Moabit n’est pas tout à fait exact (j’en sais rien, j’enquête c’est tout), il est clair pour un Français le terme Zellengefängnis et encore moins sa traduction en anglais Cell prison risque de ne pas être compris.
Par contre Prison de Moabit peut avoir plus d’impact . Je ne sais pas si c’est le bon terme, mais je l’aurais pris sans hésiter. Car au moins pour une personne intéressée, ne parlant pas un mot d’allemand et mal l’anglais, mais sachant utiliser internet un tant soit peu, Prison de Moabit ça peut parler.

Märzveilchen : en rajoutant märzveilchen nsdap, j’ai trouvé 1930 résultats et les premiers cerneraient de près ton hypothèse.
Notamment celui ci
Die Spirale des Schweigens: zum Umgang mit der nationalsozialistischen
publié par Wolfgang Duchkowitsch,Fritz Hausjell,Bernd Semrad, où ce terme est mentionné dans le contexte que tu précises.

Messieurs Duchkowitsch, Hausjell et Semrad.sont tous trois professeurs d’université, spécialistes en communication. Hélas, Dieu sait comme les Nazis étaient experts en ce domaine et je pense que si ces chercheurs utilisent ces termes, c’est en juste connaissance de cause.

Voilà, le résultat de ma petite enquête, Madame le Docteur Watson de la traduction :wink:
Après il te faudra l’avis de passionnés d’histoire allemande et de sa culture pouvant assurer une expertise que je n’ai pas.

Sur le coup… j’ai pas très bien compris ce que tu voulais dire… maintenant j’ai pigé…
je ne suis pas traductrice et loin de là, mais je viens de lire un roman sur Berlin (l’un des derniers Douglas Kennedy,
auteur américain, « Cet instant-là »).
j’ai donc cherché comment étaient tournées les phrases qui se rapportent aux noms des rues,
et l’on retrouve le même cas :
… … se trouvait sur Hochstrasse
on trouve aussi : … dans un horrible café d’Alexanderplatz (j’aurai écrit « de l’Alexanderplatz »)…
et on trouve des « Herr Nesbitt » « Herr Direktor »… et certains mots en allemand
qui ne sont pas traduits par l’auteur en bas de page, du genre : « gemütlichkeit » « Bundesnachrichtendienst » (même
page tous les deux)

mais en réfléchissant, n’est-ce pas une volonté du traducteur pour que le lecteur soit plus enclin à
se croire en Allemagne lors de sa lecture ?

Quant à la prison de MOabit « Zellengefängnis »… si tu te bases sur la vision des français, même moi j’ignore
ce qu’est la prison de Moabit… Alors que le terme soit traduit, ou pas, si cela ne change rien à la compréhension générale
du livre…

(nb : j’ai lu sur « Simba » et donc merci de m’avoir renvoyé ici pour que je saches enfin ce que tu penses
de ce livre… )

Pour un Allemand moyen, la prison de Moabit est aussi connue que la prison de la Santé pour un Français moyen.
Pourquoi « Zellengefängnis » ? C’est très simple.
Autrefois, les prisons étaient plutôt des chambrées, comme dans les casernes, le confort en moins. On se débrouillait comme on pouvait pour dormir. Ceux qui ont vu le film « Midnight Express » comprendront…
La prison de Moabit, construite dans la première moitié du XIXe siècle, était pratiquement une prison modèle, avec des cellules et des bat-flancs, où l’on pouvait coucher dans des conditions à peu près acceptables.
Le terme officiel est resté, mais le traducteur se contentera de traduire par « prison ». « Prison à cellules » serait pour le moins curieux, mais l’allemand, comme vous le savez, est une langue qui tient à sa précision ! :wink:

Merci à tous pour vos éclairages !

Pour la prison, ce qui est étrange, c’est qu’elle est citée telle quelle dans une énumération d’autres nom (propres) de prisons.

Kissou, dans ce bouquin aussi des Herr et Frau à n’en plus finir… Eh ben, on dirait que c’est la grande mode et que tous les auteurs anglo-saxons et leurs traducteurs adoptent les mêmes manies… :unamused:

Parce que c’est son nom officiel, Sonka.

@Sonka, tu dis

Une question auquel il me semble, tu n’as pas encore obtenu de réponses.
Je n’en sais rien non plus.
Mais puisque tu évoques une traduction faite en français et que je suis Française. Je te dis ce que j’en pense. Pour moi, lorsque j’étais enfant Nuremberg c’était avant une ville féérique - la ville du jouet, puis devenue grande, la ville du procès des dignitaires nazis. Les Bavarois pour moi c’était plus tôt Munich, puis quand j’ai commencé à connaître un peu l’allemand, en classes de collège, c’est devenu le Neuschwanstein et son roi de contes de fées, Oberammergau (les sculpteurs sur bois, la passion du Christ) ou encore Garmisch-Partenkirchen (le ski). Je te parle de clichés d’enfance et d’adolescence, car comme tu sais, les gens fonctionnent beaucoup par clichés et ceux de la jeunesse sont les plus marquants. Les auteurs de roman utilisent parfois les clichés pour fixer les idées de leurs lecteurs. Alors pour la traduction, je viserais plutôt le côté français et écrirais Nurembergeois plutôt que Bavarois. Pas pour le nom des habitants, mais uniquement parce que pour un Français, du moins de mon âge, Nuremberg cela parle.

C’est comme pour les grues et les cigognes, Valdok. Un bon traducteur cherchera à toucher l’inconscient collectif.
Prenons par exemple le célèbre film soviétique « Quand passent les cigognes ». Le titre original, Letyat zhuravli, signifie au juste « Les grues passent », et traduit tel quel en allemand, « Die Kraniche ziehen ». Et les Allemands reprochaient aux Français de ne pas être précis, de confondre les grues et les cigognes. On a eu un mal fou à leur faire admettre que « Quand passent les grues » sonnait plutôt bizarre (un film à la gloire de la construction de cités nouvelles en Union soviétique ?), à la limite de l’incongru (c’est le cas de dire), et que pour le Français moyen, « cigogne » était plus présent que « grue », d’où ce terme privilégié par l’auteur. On ne va pas chercher la petite bête, ce n’est pas un film documentaire. Il est vrai que dans l’Europe centrale et surtout orientale, on aura plus de chances de rencontrer des grues que des cigognes. C’est toujours une question de perception. En France, quand on pense « échassier », c’est presque toujours la cigogne qui vient à l’esprit, pas la grue.

De mémoire, je n’ai eu le cas qu’une seule fois. A Hanovre, dans une WG. Le Franconien m’a été présenté par le Mecklenbourgeois comme Quasi-Bayer. :laughing:

Ah, ok ! Je n’avais pas vraiment saisi, je pensais que c’était un nom générique, mais que la plus célèbre étant à Moabit, c’était sous-entendu. Merci donc de m’avoir apporté la lumière !

Merci à tous pour vos éclairages sur la « Bavière ». Val, ça ne désignait pas forcément un habitant de Nuremberg en soi, plutôt la région ou les habitants de la région. Faudrait que je retrouve les extraits ! Bref, moi ça m’a fait l’impression que c’était une lacune de l’auteur, typiquement un point de vue étranger (Nuremberg est en Bavière, donc ses habitants sont Bavarois) mais pas un point de vue authentique d’un Berlinois. Mais je peux me tromper !

Du reste, la télévision bavaroise, notamment, fait la distinction pour son JT régional entre « Schwaben & Altbayern* », qui couvre la Bavière proprement dite comme la voient surtout les étrangers, et « Frankenschau ».
*Haute-Bavière, Basse-Bavière, Haut-Palatinat)

Je suis assez d’accord, un Allemand même dans le nord connait la différence entre Franken et le reste de la Bavière. On dira facilement Er kommt aus Franken si on sait que c’est un type de cette partie de la Bavière. Le problème est plutôt en français ou seul « Bavière » évoque une petite lueur dans l’esprit d’un lecteur moyen.

Oui, remarque, ça vient peut être de ça, je n’y avais pas pensé : pas d’une méconnaissance de l’auteur ou du traducteur, mais de l’impossibilité pour l’un ou l’autre (ou les deux) de rendre ça dans sa langue.

Hmmm, que de questions intéressantes !

J’ai omis de vous dire que j’ai terminé la série. Le troisième tome se passe après la guerre, dans le contexte du dépeçage de l’Allemagne par les vainqueurs et de prémices de la guerre froide.
Linguistiquement, c’est toujours le même pataquès, surtout que les Russes arrivent dans l’histoire et que l’auteur a cru malin d’étaler des connaissances de russe qu’il n’a pas (et dont le traducteur ne s’est pas soucié le moins du monde…)
Mais ceci mis à part, ça reste comme les deux autres tomes une très bonne histoire. Je pense que ça pourrait plaire à Andergassen… ou pas, qui sait ?

… ou pas. Question roman policier avec mélange de langues, il n’y a rien de mieux que Kurt Lanthaler. Là au moins, c’est de l’authentique.

Merci pour le tuyau !

Nan, pour ce qui pourrait te plaire, je ne pensais pas au multilinguisme (qui est naze) mais plutôt à l’ambiance… Même si ce n’est pas l’époque que tu as connue, il doit y avoir quelque chose de ça là-dedans…