Annette Schavan : « L’éducation forge la personnalité »
28.02.2012
Interview avec Annette Schavan, ministre fédérale de l’Éducation et de la Recherche, publiée dans l’hebdomadaire allemand Die Zeit
Die Zeit : Madame la ministre, Humboldt est-il mort ?
Annette Schavan : Non, pas si vous faites référence à l’idée d’unité de la recherche et de l’enseignement, qui doit rester un principe directeur de l’université du XXIe siècle.
Die Zeit : Ce n’est pas l’avis des détracteurs de la réforme de l’enseignement supérieur, qui accusent le processus de Bologne d’avoir Humboldt sur la conscience.
Annette Schavan : C’est trop simpliste. Ce qui est vrai, c’est qu’il est temps de mener un nouveau débat de société sur la valeur et l’essence de l’éducation, indépendamment de son utilité sur le marché du travail. La réforme de l’enseignement supérieur s’est trop longtemps focalisée sur les aspects formels, au détriment de cette question essentielle : Quel rôle joue l’idéal humboldtien d’unité de la recherche et de l’enseignement dans l’université du XXIe siècle ?
Die Zeit : Quel est votre point de vue sur la question ?
Annette Schavan : Nous avons vu émerger la nécessité de préparer les étudiants à la vie active. C’est l’objectif de tout cursus universitaire, et c’est très bien ainsi. Cependant, pour en venir à l’aspect classique, les études supérieures doivent surtout laisser aux individus le temps de façonner leur parcours éducatif. Les études ne se résument pas à l’accumulation de connaissances ; elles forgent la personnalité, infléchissent les mentalités et stimulent l’esprit critique. L’attitude de certains économistes durant la crise financière montre ce qui se produit lorsqu’on se contente d’absorber des faits et des idées préfabriquées.
Die Zeit : Venant de vous, c’est étonnant. Vos détracteurs vous considèrent justement comme le fer de lance d’une « économisation » toujours plus poussée de l’enseignement supérieur. Il y a trois ans, au plus fort du débat sur l’éducation, vous avez traité de « réactionnaires » ceux qui s’élevaient contre le processus de Bologne.
Annette Schavan : À juste titre. Depuis la réforme, les gens sont nettement plus nombreux à entreprendre des études, notamment les bacheliers issus de familles où personne n’en avait fait avant eux. Les effectifs repartent à la hausse dans les disciplines scientifiques. Bref, le processus de Bologne a permis de relever les défis d’une société où près de 50 % d’une classe d’âge fait des études, et qui ne pourra maintenir sa position internationale que si un maximum de personnes obtiennent des diplômes universitaires de haut niveau. Dans l’ensemble, la réforme de l’université est une réussite. Mais cela ne nous dispense pas de remédier aux problèmes qui subsistent. Nous avons trop parlé des structures au détriment du fond et des objectifs de l’éducation. […]
Die Zeit : Un constat tardif.
Annette Schavan : Dès le début, les universités ont eu à cœur de mettre en œuvre la réforme de façon autonome. Bien sûr, de nombreux cursus allient harmonieusement l’éducation et la formation. Mais, pour moi, il importe de remettre au centre des études le principe d’unité de la recherche et de l’enseignement dans l’université du XXIe siècle. Il ne s’agit pas de citer quelques exemples de cursus qui y parviennent, mais de mener une réflexion sur l’essence même de l’université.
[…]
Die Zeit : Pendant ce temps, les établissements croulent sous les effectifs. Essayez-vous de lancer un débat de fond pour détourner l’attention de problèmes matériels ?
Annette Schavan : Je n’ai aucune raison de le faire. L’État fédéral a débloqué plusieurs milliards d’euros pour aider les Länder à développer leurs capacités d’accueil au titre du deuxième volet du Pacte pour l’enseignement supérieur, qui s’étale jusqu’à 2015.
Die Zeit : Ces fonds devraient être épuisés deux ans avant l’échéance. […] Faut-il les revoir à la hausse ?
Annette Schavan : Il faudrait surtout que les Länder commencent par remplir leur partie du contrat avant de relancer le débat sur le financement. Mais, ce qui est sûr, c’est que l’État fédéral n’abandonnera pas les étudiants à eux-mêmes. En temps voulu, la fédération et les Länder négocieront en outre le troisième volet du Pacte sur l’enseignement supérieur, qui couvrira la période 2015-2020. […] Cependant, ces discussions n’aboutiront que si les Länder honorent leurs engagements financiers.
Die Zeit : Cela ne changera rien aux problèmes structurels. Les Länder, qui ont compétence en matière d’éducation, ne perçoivent pas suffisamment de recettes fiscales, alors que l’État fédéral, qui disposerait des moyens nécessaires, doit rester en retrait.
Annette Schavan : L’État fédéral ne reste pas en retrait. Avec le Pacte sur l’enseignement supérieur, nous allons déjà jusqu’aux limites de la Constitution. […] Au lieu de relancer l’éternel débat sur la réforme du fédéralisme, nous ferions mieux de faire ce que nous pouvons dès maintenant. […]
Interview réalisée par Jan-Martin Wiarda pour Die Zeit