Un tribunal remet en cause le principe « une entreprise, une convention collective »
La décision a retenti comme un petit coup de tonnerre dans le ciel des relations sociales en Allemagne. Le 24 juin, la Cour fédérale du travail a remis en question la validité de l’un des piliers des relations entre entreprises et salariés depuis les années 1950 : le principe de la convention collective unique. Il peut se résumer en une formule : « une entreprise, une convention collective ». A contrario, il sera désormais possible de voir plusieurs syndicats signer des conventions collectives différentes au sein d’une même entreprise. À moins que le gouvernement allemand ne trouve une solution législative, comme il envisage déjà de le faire.
L’arrêt de la Cour fédérale du travail a été motivé par référence à la liberté d’association, garantie par la Loi fondamentale. Selon l’article 9, les salariés et les employeurs ont le « droit de fonder des associations pour la sauvegarde et l’amélioration des conditions de travail et des conditions économiques ». Rien ne s’oppose donc à la diversité syndicale au sein d’une entreprise, ni à la concurrence entre des syndicats plus ou moins importants, a estimé la Cour.
Un pilier de la paix sociale en Allemagne
Reste que cet arrêt met fin à une tradition ancrée depuis plus de cinquante ans, qui contribue à faire fonctionner la mécanique bien huilée des relations sociales allemandes. Dans la très grande majorité des entreprises, ces dernières s’organisent autour d’un syndicat de branche, le plus souvent affilié au DGB, la puissante Fédération allemande des syndicats. Fédérateurs, relativement représentatifs, les syndicats sont ainsi dans une position assez solide pour négocier avec les fédérations patronales dans le cadre de procédures très codifiées. Cette organisation évite les corporatismes et la politisation des conflits, assurant ainsi une relative paix sociale.
Cette uniformité syndicale a cependant commencé à se fissurer, ici et là, depuis quelques années. Chez les médecins, les pilotes de ligne, les contrôleurs aériens ou encore les cheminots, des syndicats minoritaires ont tenté de signer avec des entreprises des conventions collectives séparées. Malgré leur taille réduite, ils disposent souvent d’un pouvoir important pour défendre les intérêts de leurs adhérents. Certains ont provoqué des grèves de grande ampleur, par exemple dans les transports ferroviaires durant l’hiver 2007-2008.
Mais cette évolution inquiète. L’arrêt de la Cour fédérale du travail a ainsi provoqué une levée de boucliers conjointe des syndicats, des fédérations patronales et de plusieurs partis politiques. Ils craignent ouvertement une dégradation du climat social. La Fédération allemande des syndicats et la Confédération des associations patronales (BDA) ont appelé conjointement à sauvegarder le principe de la convention collective unique, qui est à leurs yeux le plus à même de préserver les intérêts des salariés comme des employeurs.
« La décision de la Cour n’est pas bonne pour la paix au sein des entreprises », a commenté, de son côté, Peter Weiß, député au Bundestag et membre de l’aile sociale de l’Union chrétienne-démocrate (CDU). « Cela va conduire à des grèves permanentes. Cela aurait des conséquences terribles pour toute l’économie », redoute Michael Fuchs, président du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag. Après tout, la paix sociale qui y règne est considérée comme l’un des atouts majeurs du site économique allemand, rappellent d’autres.
Vers une solution législative ?
Le président du Parti social-démocrate (SPD), Sigmar Gabriel, est prêt à réclamer si nécessaire une révision de la Constitution pour éviter de mettre en péril la paix sociale. « Nous devons d’urgence faire le nécessaire pour disposer, en Allemagne, d’un ordre social fiable. Le principe ‹ Une entreprise, une convention collective › en fait partie depuis plusieurs décennies », a-t-il souligné. À ses yeux, sa disparition crée une insécurité juridique pour les employés comme pour les employeurs.
Face à ces réactions, la ministre allemande du Travail et des Affaires sociales, Ursula von der Leyen, a décidé d’examiner « avec bienveillance » l’éventualité d’un amendement constitutionnel. Le principe de la convention collective unique dans les entreprises est un bien précieux qui contribue à la paix sociale et qu’il convient de préserver, a-t-elle assuré après un entretien avec le président de la BDA, Dieter Hundt.