Pour résumer, on peut dire que la réunification d’un pays, tout comme son unification d’ailleurs, est une loi de la nature. S’il est légitime que des pays et des régions de même culture, de même langue, cherchent à s’unir au sein d’une même nation pour former un seul Etat, il est tout autant légitime qu’un pays qui se retrouve divisé par une fortune contraire cherche à retrouver son intégrité territoriale.
La France avait fait cette malheureuse expérience pendant la Seconde guerre mondiale, suite à l’occupation allemande qui avait imposé une ligne de démarcation à travers le territoire national. Le territoire dévolu à l’Allemagne suite aux accords de Potsdam se retrouvait quant à lui divisé en quatre zones d’occupation, tandis que sa capitale, au milieu de la zone soviétique, était elle-même divisée en quatre secteurs.
A remarquer que l’Allemagne était le seul pays belligérant en Europe a être divisé de la sorte, et qui plus est, en formant deux entités qui, parties de rien, allaient connaître des évolutions différentes, chacune sous la coupe d’anciens alliées devenus adversaires.
L’idée de la réunification n’était d’ailleurs pas propre à la « trizone » occidentale. Dans la zone soviétique, le parti communiste établi par la grâce de la puissante occupante oeuvrait lui aussi en faveur d’une réunification, sous l’égide du drapeau rouge, évidemment.
Encore à la fin des années 50, il y avait des plans concrets d’un aménagement de Berlin comme capitale d’une Allemagne réunifiée, avec déjà la perspective d’une trémie sous l’Alexanderplatz, mais perpendiculaire à l’axe actuel Leipziger Strasse-Greifswalder Strasse qui passe en trémie sous l’Alex. Il y avait aussi le projet d’aménagement d’une promenade le long de la Spree, de Stralau à Charlottenburg, projet qui a été réalisé en grande partie après la réunification de la ville dans le cadre de l’aménagement de la cité parlementaire et gouvernementale dans le « Spreebogen ».
Suite aux crises qui envenimaient les relations entre les deux blocs, et au durcissement de la politique du parti communiste en RDA à l’aube des années 60 (collectivisation à outrance, étatisation des PME et du petit commerce), de plus en plus de gens cherchaient de meilleures conditions de vie à l’Ouest, en passant par Berlin, qui était pratiquement une ville ouverte. Le métro et le S-Bahn desservaient toute la ville, seules les lignes de tramway et de bus s’arrêtaient à la ligne de démarcation entre les secteurs occidentaux et le secteur « démocratique ». Suite à cette hémorragie du personnel souvent très qualifié (la formation de techniciens en RDA était excellente), la frontière entre les deux Etats allemands et autour de Berlin-Ouest allait donc être concrétisée et mise sous contrôle dans la nuit du 13 août 1961.
La Loi fondamentale (Grundgesetz) de la République fédérale née en 1949 prévoyait dans son article 23 l’adhésion d’autres territoires allemands hors de ses frontières. En conséquence, la réunification se fit formellement sous forme d’une « adhésion » (Beitritt), en réalité, une annexion (de mon point de vue personnel, mais bon…). La RDA constituait donc une entité appelée « Beitrittsländer », pays adhérents, qui rejoignaient en vertu de cet article la République fédérale de leur plein gré. Cette idée était d’ailleurs concrétisée par la « doctrine Hallstein », qui entérinait le droit de représentation exclusive de la RFA (« Alleinvertretungsanspruch »), à savoir que seule la RFA avait un gouvernement légitime démocratiquement élu, et que seule la RFA pouvait donc représenter tout le territoire allemand dans ses frontières de 1937 (les territoires à l’est de la frontière Oder-Neisse étant considérés comme « territoires sous administration étrangère », et tandis que la RDA était purement et simplement considérée comme une zone d’occupation, et non comme un Etat souverain (« die sogenannte ‹ DDR › »).
Il aurait fallu que l’Allemagne réunifiée repartît sur des bases totalement nouvelles, une sorte d’année 0, comme en 1945, en remodelant les structures administratives existantes qui auraient englobé, comme le font du reste les régions postales, à la fois l’est et l’ouest (ou comme à Berlin aujourd’hui, où le nombre d’arrondissements est passé de 23 à 12, dont deux (Mitte et Friedrichshain-Kreuzberg, sont à cheval sur l’ancienne frontière). Mais cette vision était contraire à cette idée d’adhésion, ou de représentation exclusive… Toujours est-il que c’est un non-sens d’avoir des villes-Etats comme Brême, Hambourg ou Berlin, ou petits comme la Sarre, et de grands territoires comme la Rhénanie du Nord-Westphalie ou surtout la Bavière. Et près de 20 ans après, la frontière est encore dans les têtes, avec tous les ressentiments que cela implique. L’occasion était belle, pourtant…