Rosenstrasse (film sur arte)

Bonsoir.

Je viens de regarder le film Rosenstrasse sur Arte ce soir. Ce film est réellement poignant. Le film raconte un épisode complétement oublié de la seconde guerre mondiale : le sort des couples mixes durant le IIIe Reich et notament l’épisode de la Rosenstrasse où les conjoints juifs des couples mixtes sont enfermés durant 7 jours. ainsi que la resistance de leur épouses.

Voila un texte de Dominique Vidal Parut dans le Monde diplomatique:

Des centaines de femmes allemandes manifestant au cœur de Berlin, en 1943, après Stalingrad, pour obtenir la libération de leurs maris juifs raflés et menacés de déportation. Impossible ? Le plus incroyable, c’est qu’elles obtinrent satisfaction…
Par Dominique Vidal

Le 27 février 1943, à l’aube, les SS de la Leibstandarte Hitler, chargés de la sécurité personnelle du Führer, ont pris place dans des camions bâchés qui partent aux quatre coins de Berlin (1). Leur mission : arrêter chez eux ou à leur travail, avec l’aide de la Gestapo et de la police municipale, les derniers juifs de la capitale du IIIe Reich. Les uns travaillent dans des usines vitales pour la Wehrmacht ; d’autres, mariés à un conjoint allemand, ne tombent pas sous le coup des lois de Nuremberg de 1935. Ministre de la propagande et Gauleiter (chef régional) du Parti national-socialiste, Joseph Goebbels, qui rêve depuis dix ans de déjudaïser sa ville, peut enfin mettre un terme à ces exceptions.

Le soir, quelque 5 000 personnes ont déjà été raflées, dont 1 700 maris d’Allemandes. Certains sont déjà en route pour les camps de la mort. D’autres attendent leur déportation, entassés dans deux prisons improvisées. L’une de celles-ci se trouve aux numéros 2-4 de la Rosenstrasse, où siégeait un bureau d’aide sociale de la communauté juive. Dès l’après-midi, des dizaines de femmes, inquiètes de ne pas voir rentrer leur mari, se massent dans la rue : on en compte bientôt 200. Certaines y passent la nuit…

Le lendemain, elles sont deux fois plus nombreuses… et plus décidées. Le fait que le service des affaires juives de la Gestapo ait son siège à deux pas, dans la Burgstrasse, ne les empêche pas de crier en chœur : « Rendez-nous nos maris ! » Ni la présence des SS, ni la fermeture de la station de métro voisine de Börse, ni même les terribles bombardements aériens britanniques de la soirée ne les empêchent de défier le régime. L’historien David Bankier raconte (2), témoin à l’appui, comment plusieurs femmes se bagarrent avec les agents de la Gestapo et « osent leur dire qu’ils devraient aller eux-mêmes sur le front de l’Est et laisser en paix les vieux juifs » – mais « la plupart des passants, ajoute-t-il, regardent la scène avec une totale indifférence ».

Dans son Journal, en date du 2 mars, Goebbels écrit : « Nous sommes en train de chasser définitivement les juifs hors de Berlin. On les a tous cueillis d’un coup de filet dimanche dernier et on va les embarquer pour l’Est sans délai. » C’est compter sans la foule qui grossit dans la Rosenstrasse. Quand les SS menacent de tirer, les femmes vont se réfugier sous les porches ou sous un viaduc à proximité, puis reviennent : « Nous voulons nos maris », exigent-elles d’une seule voix.

Le 5 mars, le régime tente d’ultimes manœuvres d’intimidation. La Gestapo déplace par la force des dizaines de manifestantes. Puis une Jeep occupée par quatre SS en uniforme et casque d’acier, brandissant des mitraillettes, fonce dans la foule en tirant. Les femmes se dispersent en courant, avant de se retrouver devant la prison. Certaines, encouragées par la puissance de leur mouvement, s’enhardissent jusqu’à aller demander à la Gestapo des nouvelles de leur époux. D’autres parviennent même à pénétrer dans l’immeuble de la Rosenstrasse. « Nous continuions d’espérer que nos maris reviendraient à la maison et ne seraient pas déportés », témoigne une manifestante.

Le plus incroyable, c’est qu’elles ne se trompent pas. Le 6 mars, non seulement la dictature met fin aux arrestations et aux déportations qui ont continué jusque-là, mais elle ordonne la libération de tous les juifs mariés à des Allemandes – elle fera même rechercher à Auschwitz vingt-cinq d’entre eux, qui pourront regagner leur foyer. Presque tous, d’ailleurs, survivront à la guerre. Officiellement, la Gestapo de Berlin a simplement commis un abus de pouvoir en raflant et en déportant des juifs mariés à des Allemandes, et le pouvoir y avait naturellement mis bon ordre.

Car la réalité n’a rien à voir avec cette fable de l’« erreur » bureaucratique rectifiée. C’est le même Goebbels qui a ordonné la rafle, et qui, après une rencontre avec Adolf Hitler, le 3 mars, à sa Wolfschanze (tanière de loup), l’a suspendue. Pourquoi ? La réponse tient sans doute à la période durant laquelle cette affaire se déroule : juste après la défaite de Stalingrad. Le moral des Allemands est au plus bas. Les dirigeants nazis n’ont alors qu’une obsession : que le « front intérieur » craque, comme en 1917, sous les coups de boutoir de l’Armée rouge et les bombardements anglo-américains. La résistance courageuse, mais relativement apolitique, des femmes de la Rosenstrasse risque de faire tache d’huile : et si d’autres manifestations venaient troubler les déportations de masse de juifs, qui se déroulent alors dans nombre de villes d’Allemagne ?

« A Berlin, nuance l’historien Peter Longerich (3), on interna temporairement des centaines de juifs mariés à des non-juives dans deux immeubles de la communauté juive, manifestement afin de pouvoir les échanger contre ceux des employés de la communauté qui devaient être déportés. La protestation publique spontanée de membres de ce groupe rassemblés devant l’immeuble de la Rosenstrasse, aussi remarquable que soit cette action, n’était cependant pas la cause de la libération des hommes emprisonnés, car une déportation des juifs vivant en « couple mixte » n’était pas prévue à cette époque. »

Adjoint au ministre de la propagande, Leopold Gutterer contredit cette appréciation : « Goebbels libéra les juifs pour éliminer à jamais toute protestation. (…) Pour éviter que d’autres ne tirent enseignement de cette protestation et n’aillent prendre exemple sur elle, il fallait éliminer toute raison de protester (4). » Dans son maître livre, La Destruction des juifs d’Europe (5), Raul Hilberg va dans le même sens, écrivant que les maris juifs de femmes allemandes « furent finalement exemptés, car on sentit, en dernière analyse, que leur déportation risquait de compromettre tout le processus de destruction ».

Avec le recul, la victoire des femmes de la Rosenstrasse interroge l’historien. Elle constitue d’abord une réponse cinglante à tous ceux qui expliquèrent leur passivité en assurant qu’« il n’y avait rien à faire » contre le régime nazi. Plus : elle prouve que l’action, loin de ne témoigner que symboliquement, pouvait le faire reculer. Au-delà du contexte très particulier de l’hiver 1943, elle incite même à réévaluer les rapports qu’entretenait la dictature avec son peuple : la première ne redoutait-elle pas les réactions du second beaucoup plus que l’historiographie traditionnelle ne l’affirme ?

Voilà qui expliquerait, entre autres, le secret dont les dirigeants nazis ont cherché à entourer le génocide, mais aussi les efforts considérables qu’ils ont déployés – comme le montre dans ce dossier Götz Aly (lire « Ainsi Hitler acheta les Allemands ») – pour « acheter » les Allemands. Mais il n’y eut, hélas, qu’une Rosenstrasse…
Dominique Vidal.

Je conseil à tous de découvrir ce film superbe