[i]Sedan sur les dents pour son monument aux morts allemands.
La ville des Ardennes veut détruire un bâtiment de 14-18. Les historiens s’insurgent.
«Ce monument fait partie du patrimoine : pourquoi ne pas demander aux associations allemandes de participer à sa restauration ?» «Faire payer les Sedanais, ou même les Français, c’est un peu gros…» «Est-ce qu’on se pose ce genre de questions lorsqu’il s’agit de bâtiments construits par des Romains, alors qu’ils n’ont jamais été que des envahisseurs de la Gaule ? Non ! Alors, faisons de même pour ce bâtiment construit par les envahisseurs allemands et restaurons-le…»
Il est des monuments encombrants et celui érigé en 1915 par les Allemands dans le cimetière de Sedan (Ardennes) est de ceux-là, comme en témoignent ces commentaires sur le site du journal l’Ardennais. Près d’un siècle après la Première Guerre mondiale, il se retrouve au centre d’une polémique. La municipalité socialiste de Sedan, le jugeant trop délabré pour être retapé, veut le détruire. Les historiens réclament sa réhabilitation au nom du devoir de mémoire. Outre-Rhin, on explique qu’il ne se trouve pas dans un cimetière militaire allemand, donc que son entretien n’est pas à la charge de la République fédérale.
Souvenirs. Cet automne, la mairie annonce son intention de détruire l’ouvrage commémoratif situé au beau milieu du cimetière municipal Saint-Charles. C’est l’un des plus imposants bâtiments construits par les Allemands durant l’occupation des Ardennes entre 1914 et 1918, et aussi l’un des derniers : beaucoup ont été détruits dans l’entre-deux-guerres. Mais faute d’avoir été entretenu, il est devenu dangereux. La construction, l’une des toutes premières en béton armé, se défait par blocs qui explosent sous le froid. Il a fallu l’entourer de barrières pour ne pas risquer d’accident.
Voilà plus de trente ans que les maires successifs de la ville tentent de résoudre un problème qui paraît insoluble : qui doit s’en occuper et payer ? Côté français, le bâtiment évoque des souvenirs pénibles. A l’origine, il a été édifié pour rendre hommage aux soldats de Guillaume II tombés au front et enterrés dans le carré allemand du cimetière. Mais depuis, les sépultures ont été transférées dans un grand ossuaire voisin, à Noyers-Pont-Maugis. C’est justement l’argument avancé par Berlin pour refuser de financer l’entretien de la construction : le monument ne contient plus de restes allemands… En outre, ajoute-t-on, la Grande Guerre ne suscite pas un tel intérêt de l’autre côté du Rhin, à l’inverse de la France où l’on célèbre les Poilus.
Célébrations. Très vite, les historiens se mobilisent. Premier à réagir, Sébastien Haguette, président de la Société d’histoire et d’archéologie du Sedanais, alerte les spécialistes de la Grande Guerre. Le 21 février, une cinquantaine d’historiens - dont des autorités sur 14-18, comme Antoine Prost et Gerd Krumeich - adressent une lettre au maire, Didier Herbillon. Ils font part de leur «indignation devant la décision de détruire» l’ouvrage et lui demandent de la «reconsidérer afin de préserver un lieu de mémoire très significatif de la Grande Guerre». Cette destruction par les Français d’un patrimoine allemand est d’autant plus inconcevable, ajoutent-ils, que les célébrations du prochain centenaire doivent avoir une tonalité franco-allemande et internationale.[/i]