Culture 12/06/1999 à 23h29
Vienne, d’Hamlet à Lot. Peter Zadek et Luc Bondy galvanisent le festival autrichien. Festival de Vienne: Wiener-Festwochen (00 43 1 589 220) concerts, opéras, performances et spectacles de théâtre et danse jusqu’au 20 juin.
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Le personnage d’Hamlet, créé à Londres en 1600, fut confié pour la première fois à une femme, en 1777 où Sarah Siddons se mesura à sa mélancolie compacte. D’autres interprètes féminines suivraient, jusqu’à Sarah Bernhardt. Un film l’a immortalisée dans les hésitations, déroutes, bifurcations, songeries et embardées vengeresses du fils d’un roi assassiné par l’amant de sa mère, son oncle. Le cinéaste Andrzej Wajda en 1989, au théâtre Stary, présenta lui aussi cette tragédie avec une actrice qui ne cherchait ni à imiter un homme, ni à s’identifier à l’orphelin d’Elseneur. Hamlet femme. Peter Zadek a déjà mis en scène Hamlet, en 1977, à Bochum. Shakespearien dans l’âme, il y revient. Pour l’émerveillement, et l’émotion de tous, il offre le rôle titre à cette même Angela Winkler qui a illuminé sa vision de la Cerisaie. L’idée s’est imposée. Ensuite seulement, il a réalisé qu’il s’agissait d’une femme. Ni mâle, ni femelle, ni «entre fille et garçon»" simplement elle-même, l’actrice chère à Grüber est parmi les très rares à savoir irradier une salle entière, rien qu’en arrivant, là, au devant du plateau, naturelle, souple, à la fois forte et vulnérable. Angela Winkler a les mêmes cheveux longs châtains et non sophistiqués, qu’on lui connut en 1976 grâce au film de Volker Schlöndorf l’Honneur perdu de Katarina Blum. Le visage est intouché, l’âge impossible à deviner.
Silhouette élancée dans un collant noir et une tunique, puis un gros pull anthracite, puis une veste de cuir, Winkler, à l’acte III, se métamorphose en metteur en scène des comédiens ambulants sommés de confondre le roi usurpateur et sa félonne épouse entourés de leur cour, épiés par Horatio l’ami confident.
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En 1999. Zadek a toujours dit aimer travailler avec le chaos: c’est ici une vision d’après chambardement qu’il propose, toutes lumières allumées dans la salle. Le décor se résume à un container métallique, parallélépipède post moderne destiné à contenir, donc; à transporter; à émigrer; à abriter… et qui figure là, échoué en oblique, massivement concret, comme une synthèse dérisoire de «l’exaction des tyrans, des outrages de l’orgueil, de l’angoisse dans les amours bafouées, de la loi qui tarde, de la morgue des gens en place, et des vexations que le mérite doit souffrir des êtres vils». Nous sommes en 1999, il n’y a plus guère ici de folie, ni d’épouvante. C’est pire et on n’y peut rien: un conteneur remémore les murailles d’Elseneur. Ce baraquement bête résumantle «tumulte de vivre» plus loin pivotera. Les fossoyeurs-éboueurs dégageront, parmi un fatras de canettes et détritus, la tombe d’une Ophélie idoinement incarnée par Annett Renneberg, double gracile d’Hamlet, ici en chaussures et gants de couleur bleue, avec robe blanche et caraco des fifties.
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