Nous sommes dans un petit magasin à l’enseigne rouge du quartier de Friedrichshain, à Berlin. Le centre névralgique se trouve dans l’arrière-boutique : à gauche, un réfrigérateur empli pour soutenir un siège jouxte des portants à vêtements. Des livres, des appareils électroniques et de la vaisselle garnissent les étagères posées au mur. Cela ressemble un peu à une boutique d’occasion. À une différence près : ici, chacun peut emporter un ou plusieurs articles sans payer. Tout est gratuit.
Ce type de structure a le vent en poupe outre-Rhin. Le premier « Umsonstladen » (litt. « magasin pour rien ») vit le jour à Hambourg, il y a 13 ans. Depuis, il en existe une soixantaine sur le territoire fédéral, non seulement en ville, mais aussi dans des zones rurales. « Au début, je travaillais dans un [magasin gratuit] à Berlin-Mitte. À l’époque, c’était le seul de la ville », se remémore Robert Podzuweit, l’un des bénévoles qui tiennent la boutique. « Maintenant, il y en a quatre, et il n’est pas rare que des gens viennent s’informer pour en ouvrir un à leur tour. »
Le principe est simple : quand on a chez soi des objets dont on ne se sert plus, on peut les donner au magasin. D’autres peuvent alors les récupérer. Les boutiques acceptent tout ce qu’une personne peut transporter seule. Elles proposent surtout des vêtements, des livres et autres objets d’occasion. « C’est rare, mais il arrive même qu’on nous apporte des notebooks ou des lecteurs DVD », rapporte M. Podzuweit.
Les « clients » viennent de tous les horizons : certains vivent de l’aide sociale, d’autres sont professeurs à l’université. Pour éviter qu’ils n’emportent l’ensemble du stock pour le revendre aux puces, chaque magasin plafonne le nombre d’objets emportés. « Chez nous, c’est normalement limité à cinq articles. Mais si nous voyons qu’une personne est réellement dans le besoin, nous faisons une exception », précise M. Podzuweit.
Les « magasins pour rien » participent généralement d’un projet plus vaste. Les pièces principales des boutiques, où se trouvent des tables et des chaises, sont utilisées pour diverses rencontres culturelles : lectures publiques, répétitions de théâtre, cours de dessin… Pour créer un magasin gratuit, il faut avoir au moins trois motivations : sociale (aider les gens en difficulté), écologique (recycler au lieu de jeter) et politique (œuvrer à une économie différente).
Bien sûr, il n’est pas évident de financer ce type de projet. « Nous ne réalisons aucun chiffre d’affaires, mais nous devons louer un fond de commerce », explique M. Podzuweit. Aussi les magasins gratuits misent-ils sur les dons. Celui de Friedrichshain, le « Systemfehler » (« erreur système »), a instauré un mode de parrainage : chacun a la possibilité de contribuer en donnant un à cinq euros par mois. Par ailleurs, les visiteurs peuvent déposer un don dans une tirelire.
L’idée a fait des émules en France : en 2009, le premier « magasin pour rien » a ouvert ses portes à Mulhouse.