Un lien très intéressant, merci beaucoup.
J’irai voir ce film.
Mais un truc m’intéresse, c’est la traduction de Jünger de « je vais mourir ». C’est un choix assez bizarre que de traduire ça par un poétique « ich stehe vor dem Tode », poétique, au contraire de « je vais mourir » qui est touchant de simplicité, qui sonne presque comme un cri, comme ceux qui crient « maman » quand ils sont dans une mauvaise passe. Il veut toucher ceux qui lisent la lettre par la beauté de la langue, alors que Guy Môquet touche par sa langue, celle d’un ado, d’un enfant.
Bon c’est HS mais ça peut être intéressant de savoir ce que nos experts en langue allemande en pensent…
Un beau lièvre que tu soulèves là, Dresden ! Je me suis également posé la question. Je ne sais pas si un adolescent allemand promis à l’exécution dirait « Ich stehe vor dem Tode », surtout s’il est issu d’un milieu populaire.
Il ne faut pas toutefois négliger le fait que Jünger est un écrivain aux images fortes. Et ce « Ich stehe vor dem Tode » est beaucoup plus frappant qu’un simple « Ich werde sterben ». Par ce verbe « stehen », on voit l’homme debout face à la mort inéluctable.
Il faut savoir qu’en traduction, il y a deux pôles vers lesquels on peut tendre : les sourciers (= il faut respecter à la lettre le texte source, peu importe si c’est imbuvable à la sortie) et les ciblistes (= il faut rendre le texte agréable dans la langue cible et l’adapter au public, peu importe si on ne respecte pas le propos ou le style de l’auteur). Bien sûr, ces deux pôles sont caricaturaux, on n’est jamais 100% dans l’un ou dans l’autre schéma. Globalement, de nos jours, on privilégie une position assez équilibrée, avec plutôt une préférence pour la source (la parole de l’auteur a de la valeur). Mais c’est assez récent et au cours de l’Histoire en général, c’est plutôt la position cibliste qui a dominé. Il était une époque où traduire un livre, c’était le réécrire (d’ailleurs, les traducteurs étaient souvent des écrivains) et on prenait toutes les libertés. Or, la traduction de Jünger n’est pas récente, elle est de 1941. Donc, il est très probable qu’il fasse partie de la génération qui se souciait peu de savoir si ce qu’il traduisait correspondait bien à ce qu’aurait dit l’auteur et beaucoup plus de savoir si ça sonnerait bien.
Jünger était réputé surtout pour être un styliste , ce qu’a souligné précédemment Andergassen.Ceci peut donc expliquer cela.
J’ai lu il y a très longtemps de cela « les falaises de marbre » , en français, je dois d’ailleurs avouer , à ma courte honte, que je n’en ai gardé aucun souvenir. Le genre de bouquin dans lequel tu glisses sur des phrases sans jamais trouver de prises tout comme l’alpiniste sur des falaises de marbre.
Merci Sonka pour ton intéressante intervention! Ca explique bien des choses. Reste à savoir comment un autre traducteur (la lettre de Guy Môquet a sûrement été traduite à nouveau, à moins qu’on bosse outre-Rhin avec celle de Jünger) a choisi de traduire cette phrase.
Comme l’a dit Andergassen, on retrouve la patte du traducteur: il préfère « une image forte » aux connotations poétiques à la phrase originale, toute simple, plus adaptée à la langue d’un ado de 17 ans, aussi brillant qu’il soit.
Et perso j’ai essayé de lire un livre de Jünger, je sais plus lequel mais sur la première guerre mondiale, et c’était trop pour moi, trop costaud.
Ce serait intéressant en effet de voir une traduction plus récente, il y en a sûrement ! Dans le manuel d’histoire franco-allemand, peut-être ?
Est-ce que la question de la traduction est vraiment ce qu’il y a de plus important (je trouve que l’expression traduit bien la situation, même si elle n’aurait sans doute pas été utilisée par G.M) ?
Ce qui est intéressant c’est qu’il y a eu un regard sur la question.
J’ai plutôt l’impression que d’une manière générale, les pays qui ont été dans la position de « perdant » font un black-out sur la période ou l’enjolivent à leur manière (comment parle-t-on en France de la période napoléonnienne par exemple ?).
Ah la légende, la légende, yaksadvrai !
Oui mais le problème est que le film n’est pas encore sorti, y’a donc pas grand chose à discuter… D’autant que Schlöndorff a grandi en Bretagne d’après la guerre, à une époque où la France (et surtout les villes petites et moyennes, comme Vannes) était à peine sortie du traumatisme de la guerre. Il est donc beaucoup plus susceptible d’être touché par Guy Môquet et de le connaître qu’un Allemand lambda. L’histoire de Guy Môquet est inconnue en Allemagne - après tout, peu de Français connaissent Hans et Sophie Scholl.
Le traducteur a raison.