Saviez-vous qu’avant la Première Guerre mondiale un zeppelin s’était posé en France ? Ce fut le 3 avril 1913 que se produisit cet événement connu sous le nom d’ « incident de Lunéville ». Cet événement m’ayant beaucoup intéressée, je me fais une joie de partager cette histoire avec vous, chers Allemagnonautes !
L’affaire fit grand bruit en ces temps de tensions entre la France et l’Allemagne… Et pour cause : le dirigeable, le LZ-16 (son nom militaire était le Z-IV) était le dernier né de la société Zeppelin et était monté par une commission de réception militaire qui procédait depuis quelques jours à des essais pour savoir si l’armée achèterait le nouveau zeppelin. Or le 3 avril, alors que le ballon avait quitté Friedrichshafen de bon matin pour gagner Baden-Oos et effectuer des essais de hauteur, le froid en haute altitude endommagea l’enveloppe du ballon qui perdait du gaz et ne pouvait se repérer à cause des nuages et du gaz. Quand il fut évident que le zeppelin survolait la France, les officiers présents à bord donnèrent leur accord au pilote atterrir d’urgence, de préférence dans une ville de garnison pour prouver la bonne foi de l’équipage. En effet, le survol de la zone frontière, hérissée d’ouvrages militaires, pouvait facilement passer pour de l’espionnage…
Le zeppelin se posa sur le terrain de manœuvres de Lunéville, où une troupe de cavaliers était passée en revue. Les militaires présents se chargèrent d’assister les aéronautes pour l’atterrissage, alors qu’une foule de curieux accourait pour voir l’appareil. En effet, l’événement était sensationnel : si des ballons s’étaient déjà posés dans la zone frontière, cela n’avait jamais été le cas pour les zeppelins qui passaient pour des engins des plus sophistiqués de l’époque… et l’occasion d’en voir un de près ne se représenterait pas de sitôt !
Cependant, la foule se montra très vite hostile, ce qui mit les militaires et les gendarmes locaux dans l’obligation d’établir un cordon de sécurité en attendant que les aéronautes allemands ne réparent les avaries du ballon. Quant aux relations entre officiers allemands et français, elles furent plutôt cordiales, la troupe fournissant aux arrivants de quoi passer la nuit à bord. Les gradés pour leur part, dans l’esprit « chevaleresque » qui caractérisait les officiers du début du XXème siècle, crurent à la parole d’honneur de leurs homologues allemands quand ceux-ci leur certifièrent qu’ils ne venaient pas espionner et qu’ils avaient atterri à Lunéville par correction. Aussi leur fut donné l’autorisation de se rendre au poste de télégraphe pour contacter la société Zeppelin, leur ambassade à Paris et leurs proches. Quant au zeppelin, il fut immobilisé et des ouvriers locaux aidèrent à la consolidation de la structure endommagée par l’atterrissage brusque de l’engin.
Quand la nouvelle fut connue et confirmée à Paris, des tractations commencèrent entre le ministère de la guerre et les affaires étrangères : un inspecteur de l’aéronautique fut envoyé par le train de nuit à Lunéville pour interroger de nouveau les officiers, tandis qu’en Allemagne, la firme Zeppelin envoyait par train rapide de l’hydrogène comprimé pour regonfler le ballon. L’inspecteur de Paris arriva le 4 avril au matin pour visiter le dirigeable et procéder à son enquête. Tout à fait en accord avec les autorités locales, il décréta que les Allemands avaient atterri en toute bonne foi et qu’ils pouvaient repartir. Avec l’accord de Paris, le gaz envoyé de Friedrichshafen put passer la frontière. Dès onze heures du matin l’équipage du zeppelin pouvait ainsi regonfler le ballon en vue du départ. Peu avant une heure de l’après-midi, celui-ci repartait avec à bord les seuls membres civils de son équipage, tandis que les officiers étaient conduits en automobile à la gare pour regagner l’Allemagne en train. L’aventure n’avait pas duré plus de vingt-quatre heures.
Le zeppelin atterrit en fin d’après-midi près de Metz où, quelques années avant, un hangar avait été construit pour accueillir le premier zeppelin acheté par l’armée en 1907.
L’affaire suscita tout de même quelques interrogation en France : comment un appareil aussi fiable que le zeppelin pouvait s’être égaré de la sorte ? les intentions de l’équipage étaient-elles aussi pacifiques qu’elles le prétendaient ? que faire pour qu’un tel incident ne se reproduise pas ?
Ces questions furent largement relayées par la presse et dénotèrent une certaine méfiance de la part des journalistes envers le voisin allemand. Pour la presse nationaliste, il était clair que les autorités de Lunéville et les gouvernement de la République s’étaient laissé berner par les Allemands qui avaient tout de même parcouru plus de deux-cent kilomètres au-dessus du territoire français, qui plus est dans une zone sensible, constellée de forts et de diverses installations militaires… Cependant, à cette époque, suite à divers sujets de frictions entre la France et l’Allemagne, la méfiance avait gagné les rangs de la gauche hostile à la politique d’armement des deux pays, et ceux du centre, dont la plupart des diplomates se réclamaient. Ces derniers craignaient – et surestimaient – l’influence des milieux nationalistes et militaristes en Allemagne, où les zeppelins étaient vantés comme étant une arme absolue en cas de conflit…
On put pourtant lire le 6 avril que le gouvernement allemand avait présenté ses remerciements à la France pour la rapidité avec laquelle l’affaire avait été résolue et pour la politesse des autorités locales envers les aéronautes. L’incident semblait clos…
Mais quelques jours après, un biplan allemand se posait à Lunéville, et une rixe surmédiatisée entre touristes allemands et Français à Nancy, devaient exaspérer l’opinion française qui réinterpréta l’événement de Lunéville à la lumière des événements récents, et y vit une manifestation d’intentions fondamentalement hostiles à l’égard de la France.
Cette interprétation devait beaucoup au discours martial du Kaiser Guillaume II et au patriotisme exacerbé qu’il affichait, à a politique d’armement qui devait voir la création d’une importante marine de guerre. Le zeppelin, dont les premiers essais avaient eu lieu en 1900, avait connu ses premiers grands succès vers 1906-1907, ce qui avait inauguré une collaboration entre l’armée du Reich et le comte Ferdinand von Zeppelin, concepteur du zeppelin et fondateur des sociétés qui le produisaient. Ce dernier avait su faire parler de son invention dans les journaux à travers toute l’Allemagne : chaque vol était devenu un événement mondain attirant des foules d’admirateurs anonymes, venus regarder planer l’immense appareil, des personnalités renommées venues voler à bord du dirigeables, et de nombreux journalistes accourus pour trouver matière à leurs articles.
Quand la société de Zeppelin faillit disparaître suite à la destruction du LZ-4 à Echterdingen, la presse avait si bien fait l’éloge de l’appareil et de son inventeur que, spontanément et à travers tout l’empire, nombre d’Allemands organisèrent une collecte de fonds. Cela aboutit à la recréation de la Zeppelin Luffschiffbau fin 1908 et de la DELAG un an plus tard. Les raisons de cet enthousiasme allaient bien au-delà de l’admiration pour les pionniers de l’air : le zeppelin de par ses possibles applications militaires, devait constituer une nouvelle arme perfectionnée, utilisée pour la reconnaissance et les bombardements. Et l’adversaire le plus probable en cas de conflit était la France. C’est dans cette perspective que le zeppelin fut érigé en symbole national. On peut ainsi comprendre que les Français vivant dans la région frontière – comme c’était le cas des Lunévillois en 1913 – et les cercles militaires et diplomatiques, attentifs à l’actualité allemande, considéraient le survol de zones militaires avec inquiétude…
La Première Guerre mondiale éclata un peu plus d’un an après l’incident de Lunéville, et les dirigeables allemands servirent à des bombardements qui marquèrent les esprits en France, et bien plus encore, en Angleterre (il faut savoir que dans la seconde moitié du conflit, tous les zeppelins furent affectés à la flotte de la Mer du Nord pour continuer les bombardements sur le sol anglais).
Dans la propagande de guerre française, le zeppelin était dépeint comme un instrument de mort conçu par un ennemi « barbare ». Lorsqu’il fallut, à la fin de la guerre, répondre à la question de la responsabilité dans l’éclatement du conflit, l’incident de Lunéville devait servir de pièce à charge contre l’Allemagne…
Si vous vous intéressez à l’incident de Lunéville et plus particulièrement à l’histoire du zeppelin en général, je me permets de vous conseiller quelques lectures. Il y a malheureusement peu de travaux en français sur ce sujet !
Si vous lisez l’allemand la boutique en ligne du Zeppelin Museum de Friedrichshafen est une vraie mine d’or : zeppelin-museum.de/jahrbuech … mmerce_pi1[showUid]=13&cHash=f1dc0dd051 .
Si vous souhaitez aller plus loin concernant la difficile naissance du zeppelin et le traitement de celui-ci dans la presse, je vous conseille les articles de Henry Cord-Meyer et de Jeannette Zeising dans la revue annuelle de 1998 : zeppelin-museum.de/jahrbuech … mmerce_pi1[showUid]=16&cHash=6999ab47d5 . De même, concernant l’histoire de la société et de la collaboration avec les autorités militaires, les articles de Günther Hebert et de Wolfgang Meighörner dans : Zeppelin und Frankreich – Szenen einer Hassliebe, édité et dirigé par Wolfgang Meighörner. Celui-ci est également l’éditeur d’un très bel ouvrage : Das Jahrhundert der Zeppeline.
En français, je vous conseille vivement la lecture des vieux articles de presse relatifs à l’incident de Lunéville sur : gallica.bnf.fr/?lang=FR . Vous vous y retrouverez facilement et tout est très bien expliqué. Quant aux journaux d’époque, eh bien ma foi, ils vous dépayseront, car la radio ou la télé n’existant pas encore, le journal était à la foi outil d’analyse et divertissement, donc les journalistes devaient avoir une sacrée plume !
Toujours en français, je vous invite également, si cela vous intéresse, à lire mon mémoire de master consacré à l’incident de Lunéville : La portée de l’incident de Lunéville (1913) dans la perception française de la « menace allemande » avant la Première Guerre mondiale (grin.com/fr/e-book/174513/la … -francaise) .
J’espère que cette plongée dans l’univers du zeppelin vous aura plu, et qu’elle aura un peu piqué votre curiosité !