Unterschicht : au moins 6,5 millions de laissés pour compte

Impossible, ces jours-ci, de ne pas tomber sur un article ou un dossier qui n’en parle pas. Depuis plusieurs jours en Allemagne, on a l’impression que quelqu’un a lancé une bombe dans le débat public.

Que s’est-il donc passé ? Pourquoi toute cette émotion dans les médias et chez les responsables politiques ? D’où vient-elle ?

Tout a débuté lorsque Kurt Beck (l’actuel président du SPD) a lancé le terme de Unterschicht, autrement dit de « sous-classe » et suite à la publication d’un rapport démontrant que plus de 6,5 millions d’Allemands vivent dans une situation (sociale, économique, financière, mais aussi culturelle et morale) tout à fait catastrophique.

Entre parenthèses, pour celles/ceux qui ne le sauraient pas, Kurt Beck est bien connu en Allemagne pour son franc-parler. J’ai eu l’occasion de le rencontrer lorsqu’il était fraichement élu Ministerpräsident de mon Land (Rheinland-Pfalz) et je peux vous garantir que son franc-parler est surprenant parfois quand on connait la mesure voire presque timidité d’autres responsables politiques allemands lorsqu’il s’agit d’aborder et de parler de « sujets sensibles ». Fin de la parenthèse.

Dans un entretien accordé au journal « Frankfurter Allgemeine Zeitung », Kurt Beck s’est dit très inquiet de constater qu’il y a de plus en plus de gens en Allemagne qui n’ont plus aucun espoir d’ascension sociale, des millions de gens qui se sont arrangés matériellement, culturellement et moralement de leur situation, et qui ont sombré dans une forme de résignation, de fatalisme social.

« Autrefois, il existait dans les familles pauvres, y compris la mienne, une aspiration des parents : mes enfants doivent atteindre un jour à une vie meilleure », a rappelé Kurt Beck. Pour lui, la résignation est « une évolution qu’il nous faut changer de toute urgence ! »

Beck en appelle donc à l’Etat social pour relancer l’ascenseur social. « Sans volonté de performance, une société ne peut se perpétuer dans la durée. La performance doit être récompensée, pour chaque personne qui vit en Allemagne ».

Ensuite, il y a eu la publication d’un rapport catastrophique : 8 % des Allemands se sentent rejetés aux marges de la société et ont abandonné tout espoir d’ascension sociale. Cette nouvelle « fracture sociale » concerne au minimum 6,5 millions de personnes (certains scientifiques de premier plan estiment que ce chiffre est encore trop « optimiste » si je puis dire et loin de la réalité, et ils situent la véritable proportion plutôt autour de 8 à 9 millions de personnes).

Ainsi fut lancée cette énorme discussion qui mobilise ces jours-ci tous les médias et les responsables politiques allemands, autour d’un sujet extrêmement grave (en plus d’être inquiétant) : l’ampleur réelle de la pauvreté dans un des plus riches pays du monde.

La réaction des responsables politiques a été telle qu’on pouvait se demander dans quelle monde on vit : la plupart des responsables de la SPD ont tout d’abord totalement ignoré le débat, ne voulons rien entendre, pire : disant que c’est totalement faux, qu’il n’y a pas de « Unterschicht » en Allemagne et j’en passe et des meilleures…

C’est seulement sous la pression de l’ensemble des médias que nos responsables politiques ont finalement cédé et accepté de se saisir de ce dossier et d’en débattre !

Ahurissant. Halucinant.


Avez-vous entendu parlé de cette discussion qui passionne tout le pays ces jours-ci ? (en lisant la presse allemande ? en parlant avec vos amis ou correspondants allemands ? ) Et qu’en pensez-vous ?

A ce sujet, je vous conseille de lire cet article pour vous faire une « première idée », avant de vous donner d’autres articles de presse (et notamment de la presse allemande) : Le débat sur la fracture sociale fait rage à Berlin

Et voici une dépêche trouvée sur le site de l’Ambassade d’Allemagne à Paris :

A l’heure des nouvelles technologies et du chômage de masse, la pauvreté a changé de visage, en Allemagne, pour prendre celui de l’exclusion.
Selon une étude de l’Institut TNS Infratest pour la Fondation Friedrich Ebert, proche du parti social-démocrate (SPD), 8 % des Allemands se sentiraient rejetés aux marges de la société et auraient abandonné tout espoir d’ascension sociale. Cette nouvelle fracture sociale concernerait quelque 6,5 millions de personnes. L’étude reflète aussi l’existence d’un fossé entre l’est et l’ouest. Les « précaires qui ont décroché » décrits par les auteurs représenteraient 20 % de la population des nouveaux Länder contre 4 % à l’ouest. Les difficultés matérielles ne sont plus le signe véritablement distinctif de ces « nouveaux pauvres ». Cette population se caractériserait par le chômage (pour les deux tiers), un faible niveau de formation, parfois une situation de parent isolé ou de maladie chronique, mais surtout par une grande résignation, souligne l’étude.
En écho à une analyse récemment formulée par le président du SPD, Kurt Beck (voir Nouvelles quotidiennes du 9 octobre), cette étude a puissamment relancé le débat public sur la précarité et l’exclusion outre-Rhin. Parmi les responsables politiques, le ministre du Travail et des affaires sociales Franz Müntefering a clairement rejeté le terme de « classe inférieure » pour qualifier cette nouvelle réalité. D’économique, l’enjeu a néanmoins glissé vers le terrain politique. Au-delà de la terminologie, certains responsables, à droite comme à gauche, se posent la question de la responsabilité de la réforme du marché du travail Hartz IV dans l’avènement de cette nouvelle réalité, issue de vingt années de chômage de masse. Une chose est sûre, cependant : la grande majorité des responsables s’accorde pour dire que la solution passe nécessairement par l’éducation et la formation. Et ce, dès le plus jeune âge.

Tu as raison de le signaler, il y a effectivement une augmentation croissante de la pauvreté dans ce pays. Et avec les facs payante, il va y avoir encore plus d’inégalité…
C’est triste de voir l’allemagne devenir un pays libérale :frowning:
Tschüss
K