C’est parce qu’ils sont profondément différents que Français et Allemands parviennent à trouver des compromis qui font avancer l’Europe.
Cela va contre l’évidence. Pourtant, dans une entreprise française ou allemande, il est moins rare qu’on ne le croit de voir échouer un projet de contrat, pourtant bien parti, avec un partenaire d’outre-Rhin. Pourquoi ? Il y a quelques années, un spécialiste des relations interculturelles franco-allemandes expliquait ainsi : « il est parfois plus facile, pour une entreprise française, de faire affaire avec un Chinois ou un Japonais qu’avec un Allemand. Parce que face à un client japonais ou chinois, elle part du principe qu’elle s’adresse à quelqu’un qui pense autrement. Pas avec le partenaire allemand. Cette illusion est source d’échec ».
« Les Allemands ne sont pas des Français qui parlent allemand »
C’est un fait : Français et Allemands sont « très, très différents », souligne l’ambassadeur d’Allemagne en France, Susanne Wasum-Rainer. Les différences de culture sont profondes dans de nombreux domaines. Cela va du rapport à la nature jusqu’au rapport à la monnaie, en passant par le rapport à l’armée ou au rôle de l’État dans l’économie. Les responsables politiques des deux pays le savent bien. « Les Allemands ne sont pas des Français qui parlent allemand », rappelait il y a quelques mois le ministre français des Affaires étrangères français, Laurent Fabius.
Les peuples, eux aussi, le savent bien. Selon un récent sondage IFOP pour l’ambassade d’Allemagne à Paris, Allemands et Français sont au moins d’accord sur une chose : ils n’ont pas les mêmes qualités, ni les mêmes défauts. Et ils s’accordent également entre eux pour associer les Allemands au sérieux, au travail, à la richesse ou encore à la modernité, et les Français à la convivialité, à la qualité de vie ou encore au patrimoine historique et culturel. Qu’importent les clichés : ils se perçoivent comme différents.
Différent, cependant, ne signifie pas hostile. Loin de là. Selon ce même sondage, 85 % des Français ont une bonne ou une très bonne image des Allemands, et 87 % des Allemands une bonne ou un très bonne image des Français. En outre, 89 % des Français et 84 % des Allemands estiment que les relations privilégiées avec le pays voisin ont eu des conséquences positives sur leur pays. Différence ne signifie donc pas nécessairement différend…
La complémentarité, clé du compromis
Mais plutôt complémentarité. Et c’est là, sans aucun doute, l’un des mots clés pour comprendre les réussites de la coopération franco-allemande. Sur le plan politique, c’est ainsi le principal ressort du moteur franco-allemand en Europe. Contrairement à une idées reçue, les succès de ce dernier ne sont pas le fruit d’un processus naturel de convergence. Ils sont le fruit de compromis passés dans le respect des intérêts de chacun ainsi que dans le respect de l’intérêt commun.
Le traité de l’Élysée, « discours de la méthode »
Comment la France et l’Allemagne parviennent-elles à s’entendre ? Le traité de l’Élysée fait figure de « discours de la méthode ». Il a institué, à tous les échelons politiques, une concertation systématique et régulière entre les responsables allemands et français. Peu à peu, ces rendez-vous ont produit leurs effets. La concertation systématique a créé des habitudes, noué des liens, appris à concilier les approches. Contraints d’approfondir la discussion, forcés de sortir de leur logique pour envisager celle de l’autre, Français et Allemands ont progressivement appris à dégager des compromis fédérateurs, capables d’entraîner ensuite de nombreux partenaires européens.
Ainsi, à l’heure où l’on célèbre le 50e anniversaire du traité de l’Élysée, il importe de sortir de « l’illusion de la proximité » pour reconnaître franchement les différences entre Français et Allemands. Car l’art du compromis repose sur la complémentarité des approches. C’est celle-ci qui permet à chacun des deux pays d’apporter à l’Europe le meilleur de lui-même. La complémentarité est la clé de l’efficacité du moteur franco-allemand en Europe.