Les esprits s’échauffent toujours sur le sujet. Disons que les expériences divergent grandement sur la question. Car tout le monde n’a pas la même vie.
La RDA était un système où la personne humaine avait des cotes de normalités comme n’importe quel produit industriel. Le bonheur de tous, c’était suivre les cotes, le calibrage. Il se trouve que moi aussi, je connais des gens qui avait naturellement et sans se forcer exactement le calibre exigé. Ils n’étaient même pas communistes, ils étaient juste par le hasard de la nature, le modèle type de la norme exigée par le régime. Leur vie était radieuse, heureuse, simple, paisible. Ils votent maintenant CDU pour la même raison.
La nature humaine n’étant pas industrielle, il était profondément illusoire d’appliquer la même nomenclature à tout le monde. Ainsi, nombreux sont ceux qui ont senti que leurs cotes personnelles ne collaient pas vraiment ou pas du tout avec les normes si bien définies. Forcément, la vie de ces gens-là, franchement nombreux, n’était pas sans heurs. Selon la nature de leurs différences, la réaction du régime était plus ou moins extrème.
C’est pourquoi il est assez difficile de se faire une image d’une société qui n’existe plus, car les témoignages sont forcément différents. Je ne vais pas faire de statistiques pour savoir s’il y avait plus de « déviants » que de « normalisés ». Toujours est-il qu’il y avait suffisamment des deux sortes pour que la RDA soit aujourd’hui décrite comme un pays au quotidien calme et sans vague autant que comme une dictature répressive.
J’ai des connaissances dans deux milieux non-conformes de l’est: les catholiques et les gays. Dans les deux cas, rien de directement interdit dans la pratique personnelle de la spiritualité ou de la vie sentimentale. Mais dès que l’une ou l’autre prenait une dimension sociale, collective ou politique, la situation basculait très rapidement dans le cauchemard. Donc, les curés et les gays étaient surveillés, mais tranquiles, mais tout pouvait basculer à tout moment. Pour quelqu’un qui n’a pas connu se basculement et qui ne s’est pas forcément rendu compte à quel point il est passé proche du cauchemard, il est évident que c’est l’image d’une vie modeste mais tranquile qui reste. Pour ceux pour qui tout a basculé, évidemment, c’est le visage de la dictature qui reste.
La ligne était très fine, l’équilibre fragile. La vie pouvait être simple et tranquile, mais aussi rapidement devenir dramatique. C’est ce funambulisme imposé à la population que la RDA ne peut pas être considérée comme une démocratie au sens des Lumières (Aufklärung). La vie de chacun, par contre, pouvait être heureuse… ou pas.