Arrêtons de nous comparer à l'Allemagne!

J’ai choisi en guise de titre du topic cet extrait (« Arrêtons de nous comparer à l’Allemagne! ») car j’ai trouvé cette remarque de Christine Lagarde très marrante. :laughing: Plus sérieusement, voici un très très bon interview d’un économiste (Patrick Artus) en face de la Ministre française déléguée au Commerce extérieur (Christine Lagarde) :

Alors que l’Allemagne aligne les performances, la France tente de retrouver l’équilibre de sa balance commerciale. Pour que les entreprises soient plus innovantes et plus créatrices, il importe de les aider. Comment? Patrick Artus, économiste, face à Christine Lagarde, ministre déléguée au Commerce extérieur

LEXPRESS: La France a battu son record historique en 2005 avec un déficit extérieur de 26 milliards d’euros, mais les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, qui vont mieux que nous, ont fait bien pire. Le solde du commerce extérieur reste-t-il un indicateur pertinent de la santé d’une économie?

Christine Lagarde: Oui, je le crois. Malgré la facture pétrolière, il ne se porte pas si mal. Il y a une croissance de nos exportations, une réorientation vers des bonnes destinations et surtout une forte augmentation du nombre des exportatateurs. Bien sûr, il ne s’agit que d’un indicateur parmi d’autres, mais c’est en tout cas un signe de la faculté de nos entreprises à vendre leur savoir-faire.

Patrick Artus: Ne prenons pas de lunettes roses! La France est de loin un des pays où les choses se passent le plus mal. Alors que nous étions à l’origine de 6,5% des échanges mondiaux en 1999, nous n’en sommes plus qu’à 4,5%. A partir des années 1999-2000, on constate, en effet, un très gros décrochement entre nos exportations et le commerce mondial. Si, depuis 1999, nos exportations avaient suivi le rythme des échanges commerciaux, elles seraient de 20% plus élevées et on aurait eu chaque année 1 point de PIB en plus. Si nous exportions autant que l’Allemagne, elles seraient de 30% plus élevées en volume.

C. L.: C’est vrai que l’Allemagne a gagné des parts de marché.

P. A.: Oui, comme le Japon et la Corée. Et on ne peut accuser nos coûts de production industriels, puisqu’ils diffèrent très peu des coûts allemands. La structure géographique de nos exportations n’explique pas davantage les problèmes français. Si nous avions la même que l’Allemagne, notre situation ne serait pas meilleure. Il n’est pas normal par ailleurs que nous n’ayons pas profité de la nouvelle richesse des producteurs de matières premières et des pays émergents. Les Allemands, eux, sont passés de 100 à 300 milliards de dollars par an d’excédents commerciaux hors énergie. Les Français ont stagné à une trentaine de milliards.

C. L.: Arrêtons de nous comparer à l’Allemagne!

P. A.: Certes, mais il faut reconnaître que c’est tout de même ce que l’on aimerait bien avoir! Une situation où la croissance des exportations vers les pays émergents est à peu près égale à celle des importations venant de ces pays. Les deux seuls pays développés où l’on constate une accélération des flux de commerce dans les deux sens sont bien le Japon et l’Allemagne.

C. L.: Si, aujourd’hui, sur les 1 000 géants du commerce mondial, on trouve 56 français et 40 allemands seulement, c’est parce que nos champions français ont su s’internationaliser et que notre situation n’est pas si mauvaise que cela. Notre consommation a été beaucoup plus dynamique qu’en Allemagne. Cela dit, je reconnais que l’Allemagne est la championne du monde des exportations et que c’est sans doute grâce à une politique délibérée des autorités allemandes, qui ont choisi le moteur de l’exportation pour doper leur économie. Ce qui, d’ailleurs, nous a pénalisés, puisque la consommation intérieure de celle qui reste notre premier client a été relativement faible.

LEXPRESS: Cela devrait être moins le cas cette année…

C. L.: C’est vrai, au moins jusqu’à la fin de 2006, car ensuite la consommation allemande devra encaisser le contrecoup du relèvement de leur taux de TVA en 2007.

LEXPRESS: Si nos grands groupes sont brillants, si notre piètre performance n’est pas due à une mauvaise répartition géographique de nos exportations, pourquoi un tel déficit?

P. A.: C’est un sujet presque aussi complexe que celui du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits! Le problème est que ce qui se passe dans les grands groupes n’a absolument aucun rapport avec ce qui se passe dans l’économie. Alors que le taux de profit des grandes sociétés cotées a augmenté considérablement, celui de l’économie française définie par nos frontières géographiques n’arrête pas de baisser. Il faut savoir de quoi l’on parle. S’intéresse-t-on aux entreprises françaises dont la définition est d’avoir un siège social en France ou un management français ou bien choisit-on une définition géographique, autrement dit l’emploi et la croissance en France? Car 85% des résultats consolidés des sociétés du CAC sont obtenus hors de France, alors que les sociétés cotées américaines réalisent 85% de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis. Cette dichotomie pollue totalement le débat. Et montre aussi qu’une proposition comme le Smic à 1 500 euros est une gigantesque bêtise.

LEXPRESS: Le sujet d’inquiétude n’est-il pas l’inadaptation de l’offre française à la demande?

C. L.: Si vous regardez votre téléphone portable, l’ordinateur qu’utilise votre fils, le MP3 de votre fille, ils sont tous probablement fabriqués en Corée du Sud, au Japon ou en Chine. Il est clair que, pour les biens d’équipement de ce type-là, nous sommes consommateurs de produits importés, mais nous vendons d’autres produits à ces pays, qui deviennent plus riches.

P. A.: Il est normal que l’on ne fabrique plus de téléviseurs. Mais il n’est pas normal que, globalement, le volume de notre production ne suive pas celui de notre consommation. Le problème est que la France n’arrive pas à s’insérer dans le jeu de la mondialisation: lorsque la Chine triple ses importations, les exportations de la France stagnent et celles de l’Allemagne triplent instantanément. Notre offre est totalement inadaptée.

C. L.: La rupture en 2000, lorsque le monde émergent a accéléré à toute allure, est aussi due à la réforme des 35 heures, qui est entrée vraiment en vigueur. Ses effets ont joué à plein. Et cela ne tient pas au commerce extérieur!

P. A.: Notre problème d’offre vient essentiellement du fait que nous manquons de PME en général et d’entreprises de croissance en particulier. Les Allemands ont trois fois plus de PME exportatrices que nous, et trois fois plus d’exportations, il ne faut pas chercher plus loin! Quand on pense que, cinq ans après leur création, nos entreprises ont en moyenne la même taille qu’à leurs débuts, c’est effarant. Alors qu’aux Etats-Unis elles ont triplé et, en Allemagne, grossi de moitié!

LEXPRESS: Que peut-on faire?

C. L.: Je partage ce constat. Il faut aider les PME à grandir. Par exemple, le plan «Gazelle» de Renaud Dutreil vise à diminuer les charges fiscales. J’ai pris des mesures pour l’exportation qui encouragent les PME à «naviguer en escadre» à l’étranger, c’est-à-dire à se former en groupement. Bien souvent, les entreprises «primo-exportatrices» ne peuvent pas être lâchées comme cela seules, en Chine, en Inde ou en Russie, où les obstacles réglementaires, linguistiques, culturels sont réels. Pour ce qui est de l’offre, la réponse passe par l’innovation. C’est la raison pour laquelle le gouvernement soutient la recherche, notamment à travers l’Agence nationale de la recherche, l’Agence pour l’innovation industrielle et les 66 pôles de compétitivité.

LEXPRESS: N’est-ce pas trop? N’aurait-il pas mieux valu concentrer les efforts?

C. L.: L’essentiel est qu’un certain nombre d’énergies créatrices et entreprenantes se mettent ensemble et décident de travailler en commun en recherche, en innovation et à l’exportation.

P. A.: Oui, en effet, c’est la bonne voie, et les exemples internationaux sont nombreux, notamment en Italie, des succès de cette mise en commun des moyens pour les PME. Il faut offrir au marché, extérieur comme intérieur, les produits innovants qu’il demande.

C. L.: C’est ce que nous avons fait. Les résultats sont encourageants. Vers l’Inde, nos exportations ont crû de 71% cette année et de 31% vers la Chine. J’y vois la preuve que l’action paie, puisque ces marchés sont ceux que nous avions identifiés. Aux Etats-Unis, nous étions en phase de perte de marchés et nous sommes en train de remonter la pente. Et surtout, pour la première fois depuis quatre ans, le nombre de PME exportatrices est en augmentation avec une croissance de 10%, c’est important pour l’avenir et l’emploi. L’exportation, c’est du travail pour les Français.

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