Absolument ! C’est la raison pour laquelle mon épouse et moi nous aurions été pour un vote parlementaire et non pas un référendum - il est inutile de se fourvoyer : le peuple n’est pas capable de comprendre le sens ni les implications de textes juridiques aussi complexes.
D’ailleurs à l’époque mon épouse et moi avions écrit une « lettre ouverte » (qui avait été publiée dans la presse locale) :
[i]Constitution européenne ou de la pernicieuse illusion qui conduit à confondre la science juridique avec l’observation et la connaissance de l’actualité.
Vu l’ampleur que prend le débat sur le projet de Constitution européenne, il serait peut être temps de dépassionner le débat et de rappeller quelques principes élémentaires.
En effet, le danger auquel s’expose un débat dont la matière première est essentiellement fournie par le présent, c’est de confondre la science avec la connaissance de l’actualité.
Certes il n’est pas question de la discréditer ni même de prétendre qu’il est permis d’ignorer les faits ; mais encore convient-il de savoir les mettre en place.
Or cette place est déterminée par des données ou des facteurs auxquels il est bien rare que la seule observation de l’actualité conduise à se référer.
Il conviendrait donc de prendre du champ, de se dégager du moment et de discerner le permanent à travers la fugacité de l’instant.
Que cette attitude scientifique ne soit pas spontanée, ce n’est que trop certain, mais elle regorge de dangers.
En effet, l’étude du texte de la Constitution européenne paraît facile parce que la plupart des notions qu’il met en cause sont quotidiennement évoquées par l’actualité politique. Ce dont il est question ici, notre journal du matin ou le speaker de la radio nous en a entretenus. D’où une impression de familiarité qui prive le texte de la curiosité que soulève un vocabulaire complexe. Traitants du référendum, du Parlement européen ou des directives européennes, on évoque un milieu et un décor qui paraissent connus.
C’est là une pernicieuse illusion : l’instruction civique la plus élémentaire fait défaut à l’immense majorité de nos contemporains et cette déficience n’épargne pas le lecteur du traité constitutionnel européen.
En outre, l’actualité déforme les problèmes parce qu’elle n’en retient qu’un aspect fugitif ; elles les dramatise et, par conséquent, les écarte de la perspective scientifique ; elle établit entre eux une hiérarchie fortuite et provisoire interdisant, si elle est la seule source de connaissance, toute compréhension de leurs liaisons profondes.
Que la connaissance du fait actuel ne suffise pas ne doit cependant pas nous conduire à la fausse option « méthodologique » entre le fait ou la théorie, la vie ou la règle, le spontané ou le construit. Fausse option car il n’y a pas à choisir : le projet de Constitution européenne est un texte juridique qui « ordonne » et ce qu’il ordonne, c’est la vie (de nos institutions européens, etc).
Cela exige évidemment qu’on élargisse le cadre de l’analyse au-delà du strict commentaire du texte. Il serait cependant imprudent d’oublier ou de discréditer les études proprement juridiques du texte de la Constitution européenne.
Elles offrent à la recherche un cadre, artificiel peut être, mais indispensable pour éviter de se perdre dans l’inextricable confusion des faits.
Sans doute ce rappel peut-il momentanément importuner les lecteurs.
Il est cependant nécessaire car un texte tel que celui-ci fonde et renforce nos institutions qui, par-dela les hommes qui passent, sont seules capables d’assurer la durée.
Enfin, faut-il souligner qu’une telle méthode d’approche et d’étude du projet consitutionnel européen est particulièrement nécessaire dans le moment présent ?
Dès lors que la contestation est devenu le mode normal de la « pensée », il n’est pas indifférent de connaitre avec exactitude ce que l’on conteste - L’efficacité d’une flèche dépend bien moins de l’énergie de celui qui la lance que de la précision de son objectif.
Il est donc plus jamais nécessaire de rappeller qu’il convient de distinguer ce qui relève du droit de ce qui est analyse de l’actualité, tout en éclairant le second par le premier.[/i]
Bien entendu aujourd’hui encore, un an plus tard, je reste persuadé que de choisir la voie référendaire était une erreur. Chirac a fait une erreur. En voulant être trop honnête il a donné au peuple le baton pour se faire battre. Et nous savons les conséquences désastreuses que cela a eu…