Un demi-siècle après la réconciliation historique entre la France et l’Allemagne, il semble aller de soi que les deux pays se rapprochent toujours plus. Mais n’est-ce pas là une illusion ? Telle est l’analyse développée « sans langue de bois » par l’ambassadeur d’Allemagne en France, Reinhard Schäfers, mardi 31 janvier, lors d’une conférence à la Maison Heinrich Heine à Paris. « Il faut reconnaître nos différences pour créer de la complémentarité », a-t-il expliqué. Le caricaturiste Jean Plantu commentait le débat en direct, crayon et tablette à la main.
« Au risque de provoquer, je dirai d’emblée que nous ne nous ressemblons pas beaucoup ‘par nature’ », a avancé M. Schäfers, exemples à l’appui. Derrière les décisions politiques sur le nucléaire, la Libye ou la crise de l’euro se cachent ainsi des différences plus profondes de « culture politique » qui ont trait au rapport à la nature, aux armes, à la monnaie et au rôle de l’État dans l’économie. Dès lors, si les compromis franco-allemands se multiplient sous l’effet de la crise, « ils ne sont pas le fruit d’un processus naturel de convergence ! », a souligné l’ambassadeur. Le « couple » franco-allemand n’est donc pas ce que l’on croyait : il faudrait plutôt y voir un « couple de frères ». Une métaphore qui a inspiré la plume corrosive de Jean Plantu, généralement prompte à imaginer les confidences du « couple Merkozy », le soir, sur l’oreiller…
Pour M. Schäfers, prendre conscience de cette « illusion de la proximité » permettra de construire l’avenir. En effet, « ce qui peut nous séparer, ce n’est pas la différence mais l’indifférence ». Il est donc nécessaire de « réexpliquer à chaque génération, avec de nouveaux arguments, pourquoi il est si important de s’intéresser au voisin direct, à sa langue et à sa culture », a-t-il dit. Car « pour pouvoir s’entendre, il faut comprendre et parler la langue du pays partenaire et traiter d’égal à égal. Il ne faut en aucun cas que l’un se place au-dessus de l’autre ou se pose en modèle. Chacun doit rester ouvert au compromis ».
Ainsi naîtra « une véritable complémentarité qui apporte à la politique, à l’économie et à la culture le meilleur de chacune de nos sociétés, créant ainsi quelque chose de nouveau qui soit aussi perçu comme tel dans le monde et dans le cadre de la mondialisation. » Pour l’ambassadeur, « c’est le seul moyen pour défendre nos intérêts. Le monde n’a pas envie qu’on lui apporte la preuve des différences entre la France et l’Allemagne. On attend bien plus de nous. »
À un an du 50e anniversaire du traité de l’Élysée, cette analyse a suscité un riche débat, modéré par le professeur Hélène Miard-Delacroix. Peut-on parler « des Allemands » et « des Français » sans tomber dans le stéréotype ? La presse ne donne-t-elle pas, trop souvent, une vision réductrice ? Une chose est sûre : les relations franco-allemandes sont une inépuisable source d’inspiration pour les caricaturistes. Chacun a pu s’en convaincre en admirant les dessins de Plantu sur l’Allemagne, actuellement exposés à la Maison Heinrich Heine.