Angela Merkel n’a pas voulu rapprocher l’Allemagne du coeur de l’Europe
Noëlle Lenoir
15 avril 2010
Version intégrale de l’article publié le 15 avril, dans le magazine Challenge du 15 avril 2010, n°208.
Madame Merkel, entre engagement européen et défense des intérêts nationaux.
Point n’est besoin d’être grand clerc pour s’apercevoir que l’attitude de l’Allemagne face à l’Europe a changé depuis la fin de l’ère Kohl. On en vient même à se demander si, en réunifiant l’Allemagne, le Chancelier Helmut Kohl, sans doute à son corps défendant, ne l’a pas éloignée de l’Europe.
Jusqu’à la période récente, cela ne sautait pas aux yeux. C’est aujourd’hui l’évidence même. Les propos sévères de Madame Merkel vis à vis de la Grèce, pour justifiés qu’ils soient, en sont le témoignage éclatant : l’Allemagne fait savoir qu’elle entend bien désormais privilégier ses intérêts nationaux en Europe. Elle ne paiera pas le prix de l’impéritie des gouvernements grecs, et de l’eurozone en général.
Le fait que la Grande-Bretagne veille à défendre ses intérêts nationaux en Europe en empêchant que celle-ci ne devienne trop forte n’étonne personne. L’ambiguité de la position de la France est tout aussi connue : fédéraliste et solidaire à certains moments, la France peut se montrer protectionniste à d’autres et très critique du projet communautaire. Avec l’Allemagne, la tonalité était différente. Sa politique étrangère s’est effacée pendant des années devant la politique européenne. Il n’en est plus ainsi.
Cette évolution s’est faite sentir après la chute du Mur de Berlin. Les débats qui ont eu lieu lors de l’élaboration du traité de Maastricht, du temps d’Helmut Kohl, ont révélé un certain infléchissement de la position du gouvernement allemand face au projet d’intégration européenne. Certes, en faisant le choix de l’abandon du Deutsche Mark (DM) au profit de la monnaie unique, en dépit de l’opposition de 80% des Allemands d’après les sondages, Helmut Kohl a voulu promouvoir " l’euro [parce qu’il] rend l’intégration européenne irréversible"
Pour autant, il réclamait l’insertion dans le traité du principe de « subsidiarité », inspiré du droit allemand, destiné à encadrer le transfert de compétences des Etats nations vers l’Europe.
Avec l’éclatement de l’Empire soviétique, l’Allemagne, nouvelle puissance centrale en Europe, se donnait pour objectif - à côté de l’intégration européenne - de faire le pont entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale et de s’implanter sur le marché des pays de l’Europe centrale et orientale (PECO). Le but a été pleinement atteint. L’Allemagne est leur premier partenaire commercial et le premier investisseur, devant les Etats-Unis et loin devant la France.
Ce nouveau rôle de l’Allemagne, les yeux tournés vers l’Est tout autant que vers Bruxelles, s’est encore affirmé sous le gouvernement du Chancelier Gerhardt Schröder. Celui-ci a développé avec la Russie une coopération, non seulement économique, mais aussi politique, sans précédent.
Mais surtout, Gerhardt Schröder est le premier Chancelier depuis la dernière guerre mondiale à avoir revendiqué une Allemagne débarrassée de ses complexes ; en d’autres termes « libérée du poids de l’histoire ». En renouant ainsi avec l’idée du Sonderweg - la « voie allemande » - il a fondamentalement modifié le positionnement de l’Allemagne en Europe. D’ailleurs, il n’hésitait pas parfois à critiquer vertement la Commission, voire le Parlement européen, sport auquel se livrent assez couramment les Britanniques et les Français, mais dont se dispensaient jusque là les Allemands. Autre signe d’un certain désengagement de l’Allemagne vis à vis de l’Europe : en 2003, plusieurs dirigeants européens, dont le Président français (à mon grand regret), le Premier ministre britannique et le Chancelier allemand signaient une lettre commune à la Commission européenne pour demander de limiter à 1% du PNB européen, le budget de la Communauté
J’ai cru que Madame Merkel allait rétablir un lien fort entre son pays et l’Europe. Son appartenance à la CDU, un des grands partis fondateurs de la construction européenne, pouvait le laisser supposer. Mais cela ne s’est pas passé comme je l’avais prévu.
Angela Merkel, comme son prédécesseur, cultive des relations bilatérales privilégiées avec la Russie, totalement indépendamment de la politique étrangère européenne (et elle fait d’ailleurs des émules en France comme on le voit avec le projet de vente à Moscou des navires de guerre français Mistral).
Madame Merkel n’a pas plus l’intention que Gerhardt Schröder de continuer à financer l’Union européenne au delà d’une contribution modérée de la part du budget de son pays. C’est ce qu’elle a fermement rappelé à propos de la crise grecque, en proposant l’exclusion éventuelle de l’eurozone des pays n’en respectant pas les contraintes.
En cela, la Chancelière ne se conforme pas seulement aux vues de son allié libéral de la coalition au pouvoir. Elle répond à son opinion publique qui refuse de voir l’Allemagne vertueuse s’appauvrir du fait de la mauvaise gouvernance de ses partenaires de l’eurozone.
Madame Merkel et la Cour constitutionnelle allemande
Le tournant de la politique allemande en Europe est largement avalisé par la Cour constitutionnelle allemande. Le tribunal de Karlsruhe en effet a pris, depuis la mise en place du traité de Maastricht jusqu’à celle du traité de Lisbonne, une série de décisions fort peu favorables à l’intégration européenne. Tout au contraire, le message commun qui s’en dégage est qu’il faut mettre le hola au glissement vers le fédéralisme européen.
La décision sur Maastricht de 1992 pose clairement le principe d’une limitation des transferts de souveraineté en faveur de l’Union européenne, afin que le Bundestag - expression de la souveraineté du peuple allemand - puisse conserver des compétences essentielles. Les Etats, dit la Cour, sont et doivent rester les maîtres des traités. Il faut donc empêcher tout glissement naturel vers une Europe plus fédérale.
La décision sur Lisbonne de 2009 est encore plus nettement anti-fédérale puisqu’elle oppose la démocratie à l’Europe et affirme solennellement qu’il n’’existe pas de « peuple européen ». Affirmation curieuse, on en conviendra, alors que la citoyenneté européenne, dont découle le droit de vote aux élections municipales et européennes, date déjà de plus de dix ans.
Entre ces deux décisions, la Cour de Karlsruhe a rendu un arrêt en 1998 sur l’euro
Moins commenté que les deux autres, il n’en traduit pas moins de la même façon une réticence non dissimulée vis à vis de la communautarisation d’un certain nombre de compétences nationales, en l’occurrence la compétence monétaire. La Cour rappelle les critères exigés pour l’accès à l’eurozone, notamment la stabilité monétaire et la maîtrise des déficits publics. Elle insiste ce faisant sur la nécessité d’éviter que la création de l’euro ne conduise du fait des différences de politiques économiques entre Etats membres, à un appauvrissement de la population allemande qui aurait échanger sa monnaie forte, contre une monnaie plus faible.
C’est ce risque que veut éviter Angela Merkel en rappelant le gouvernement grec à ses devoirs liés à son appartenance à l’eurozone. Car la Chancelière allemande sait que si l’Union met en place un plan d’aide communautaire à la Grèce, elle peut se heurter à un obstacle constitutionnel. D’après certaines informations, des professeurs d’Université eurosceptiques seraient en train en effet de préparer un recours pour le cas où cette hypothèse se réalisait…
En guise de conclusion :
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Il n’est pas sûr que la montée en puissance des Cours constitutionnelles en Europe aille dans le sens d’un approfondissement de la construction européenne. La plupart de ces cours ont une sensibilité très nationale.
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Le seul moyen de sortir par le haut de cette crise d’identité européenne et de renouer avec l’idée du grand projet, c’est de concrétiser l’objectif de gouvernance économique européenne que Français et Allemands ont défini, tout en se gardant bien de lui donner un contenu !
Il faut être clair : à défaut de retrouver le chemin de l’intégration, l’Union européenne est vouée à l’échec.
jean luc