Le mot "madame" autrefois

Bonjour,

je ne sais pas si ce mot a déjà fait l’objet d’un fil.
A travers la traduction ancienne (par exemple jusqu’avant la dernière guerre) de ce terme, je cherchais à savoir comment était perçue par la population la propriétaire (veuve) d’un grand domaine agricole de l’est allemand jusqu’en 1945 (Ostbrandenburg). Elle possédait 2 villages et employait une centaine de Gustarbeiter. En particulier savoir à travers les termes utilisés si les villageois parlaient d’elle péjorativement ou de façon « neutre ». En effet au travers de quelques témoignages seulement, il est difficile de savoir si les gens de cette époque se sentaient exploités (maigres salaires) ou au contraire heureux de leur condition. Il est vrai que ces personnes toutes âgées maintenant ou décédées évoquent également leur jeunesse dans leur témoignage.

Voilà la réponse que m’a faite à ce sujet un ancien habitant de ce village de Görbitsch, à 50 km à l’est de Frankurt/Oder. Il avait environ 9 ans en 1944.

« Wenn jemand mit ihr gesprochen hat, wurde sie mit « genädige Frau » angesprochen; und wenn die Görbitscher untereinander von ihr gesprochen haben, wurde nur gesagt « die gnädige ».(gnädige ist abgeleitet von « Gottes gnaden ») »

  1. à vos avis est-ce que « genädige » est une erreur de frappe dans le mail ou la transcription d’un accent local ?
  2. comment pourrait-on traduire littéralement « die gnädige » ?
  3. cette formule « die gnädige » vous semble-t-elle péjorative ?

C’est gnädige Frau, de « Gnade », grâce. Donc, littéralement, ce serait « sa gracieuse », quoique que ce titre s’applique à proprement parler à une personne noble. Mais là, je donne la traduction littérale. Les gens de même condition en France disaient couramment « not’ monsieur » (gnädiger Herr) ou « not’ dame », mais avec déférence, alors que nous disons aujourd’hui, par raillerie, « not’ président ». :mrgreen:
En Autriche, et surtout à Vienne, l’apostrophe « gnä’ Frau » est encore courante, mais surtout dans les milieux populaires, pour dire « madame », mais c’est un peu railleur. Dans les milieux hupés, il y a encore une centaine d’années, on s’adressait couramment à la maîtresse de maison en lui donnant du « Gnädige ».
On peut prendre « gnädige » dans un sens péjoratif, mais avec la mine adéquate à l’appui. C’est comme quand ma femme, pour parler péjorativement d’une femme qu’elle n’apprécie pas en France, dit « Die Madame ». Si l’on veut parler défavorablement d’une femme aux grands airs, le terme « die Gnädige » sera le terme généralement consacré, avec moue dépréciative à l’appui. :wink:

Content de te retrouver, djoss, avec tes souvenirs d’outre-Oder ! :smiley:

En français, ça ne correspondrait pas un peu à « la patrone » utilisé dans les milieux populaires. Mon voisin artisan, quand il parle de sa femme, dit :« la patronne » et quand il veut demander un renseignement à ma femme et que c’est moi qui ouvre la porte :« Elle est là, la patrone ? » « Die gnädige », ce ne serait pas un peu le même registre de langue? :wink:

Il convient d’ouvrir ici une parenthèse sur la condition des ouvriers agricoles à l’est de l’Elbe jusqu’en 1945. Ces gens de très modeste condition étaient pratiquement considérés comme des serfs, dont ils avaient d’ailleurs la mentalité, un peu comme le moujik russe. Les propriétaires de grands domaines étaient vraiment considérés comme des seigneurs, avec la terminologie en rapport.
A l’Ouest de l’Elbe, on disait plus couramment « der Bauer » ou « die Bäuerin » pour le pendant français du patron ou de la patronne.
L’équivalent français est donc correct, michelmau, mais en Allemand, tout dépend du contexte historique et local dans lequel on se place.

Merci pour toutes vos explications détaillées.

Le parallèle avec « la patronne » en français est amusant, Michelmau, mais dans ce cas ce serait, à mon avis, pour parler de l’épouse.

Mais finalement Andergassen, quand tu précises à juste titre la condition de serfs de ces travauilleurs de « l’outre-Oder » qu’est-ce qu’il faut en penser ? Avaient-il conscience pour la plupart d’être exploités ou bien considéraient-ils que les rapports sociaux qu’ils vivaient (seigneur et serfs) faisaient partie de l’ordre des choses ?

J’ai par exemple 2 témoignage concordants étonnants (mais peut-être pour des raisons différentes) : une habitante du village, décédée maintenant (16 ans en 1944), disait en 2007 de son village d’autrefois que c’était un vrai paradis ; et mon père, prisonnier français dans ce même village à la dernière guerre, disant aussi, en 1979 que c’était un vrai paradis àcette époque !

Autre détail : 2 lacs dans ce village : 1 privé (à la gnädige Frau) et 1 « public » ; mais même dans ce lac public, la pêche était interdite. Une autre témoin m’avait dit trouver ce principe comme normal !

Cela faisait partie de l’ordre des choses, effectivement. Il y a 20 ans, quand la Pologne a supprimé les visas, la physionomie des villages, dans le Brandebourg oriental ou en Poméranie, n’avait pas changé depuis 1945. Et dans l’ex- RDA, certains villages du Brandebourg ou du Mecklembourg n’avaient pas de route goudronnée, jusqu’à une date récente (Ce n’est pas par hasard que le film « Le ruban blanc » a été tourné à Netzow, dans la Prignitz; quatre mois après le tournage, la route était goudronnée…).
Toutes les régions à l’est de la ligne Oder-Neisse faisaient partie de la Prusse, où le respect de la hiérarchie et des traditions était profondément ancré. Les travailleurs agricoles, s’ils le restaient, savaient qu’ils ne pourraient pas faire autre chose. Ceux qui voulaient s’élever partaient à la ville, entraient en apprentissage et apprenaient un métier. Les femmes qui partaient à la ville, pour la plupart, entraient en condition ou étaient nourrices.
Et on se rappellera la belle chanson de Jacques Brel, « Jaurès » : frmusique.ru/texts/b/brel_jacques/jaures.htm

Assez étonnant en effet pour ceux qui comme moi ignorait toute l’ampleur du problème.
L’arrivée du communisme a dû constituer un sacré choc.