Les Tyroliens ont une forte tradition de résistance contre l’envahisseur étranger, avec la levée en masse (das letzte Aufgebot), cf. Andreas Hofer en 1809 contre la Bavière, puis les Français (Trahi, il fut exécuté en 1810 à Mantoue).
S’appuyant sur cette tradition, des unités spéciales de « Kaiserjäger » ou « Tiroler Jäger » (chasseurs alpins) sont engagées sur le front des Dolomites pendant la PMG. Quand l’armistice est signé le 4 novembre 1918, l’Italie n’a pas réussi à enfoncer les lignes autrichiennes sur ce secteur du front, qui marque pratiquement la limite linguistique entre le Tyrol allemand et le Tyrol italien (Trentin), revendiqué par l’Italie, comme Trieste et l’Istrie (terres irrédentes).
A St-Germain, l’Autriche se retrouve réduite théoriquement à sa partie allemande, le territoire actuel, moins les régions allemandes du quadrilatère de Bohême (les Sudètes), et en ce qui nous concerne ici, la partie germanophone au sud des Alpes, les Italiens ayant fait valoir que les Allemands du Sud-Tyrol sont en fait des Italiens germanisés, et Wilson ayant dès lors donné sa bénédiction, au nom du droit des peuples à leurs frontières naturelles. Le Tyrol se retrouve donc éclaté en trois morceaux, le Tyrol du Nord dans la vallée de l’Inn, avec Innsbruck, le Tyrol du Sud au sud du Brenner (l’actuelle province de Bolzano), et le Tyrol oriental, dans la vallée de la Drave, tourné vers la Carinthie, (district de Lienz) qui n’est accessible que par le territoire italien, ou par un long détour par le land de Salzbourg et la Carinthie.
Au départ, les Tyroliens germanophones vivant désormais sur le territoire italien auraient dû bénéficier d’une large autonomie, à l’instar des Allemands des Sudètes dans la nouvelle Tchécoslovaquie. Mais l’instauration du régime fasciste va briser cet espoir, avec interdiction de la langue allemande dans la vie publique, éradication des symboles et du souvenir autrichien, fermeture des écoles allemandes (un peu comme en Alsace-Lorraine après 1940, quoi). Interdiction également des prénoms allemands, du nom « Sud-Tyrol » remplacé par « Alto Adige », Haut-Adige, un souvenir de Napoléon avec ses départements transalpins, et même début d’une italianisation des noms de familles. Disparition également des inscriptins allemandes dans les cimetières.
Le « monument de la victoire » à Bolzano est inauguré en 1928. Son inscription est offensante pour les Tyroliens, car il dit « Ici, aux confins de la patrie, pose les jalons. Depuis ici, nous avons civilisé les autres par la langue, les arts et les lois. » Nonobstant que le terme original d’un vers de Virgile Maron, « barbaros » a été remplacé par « ceteros », les « autres », il convient de rappeler que le Tyrol était une vieille terre de civilisation allemande, avec des poètes tels que Walter von der Vogelweide, qui a son monument sur la place principale de Bolzano, ou Oswald von Wolkenstein. L’Autriche ne comptait pratiquement pas d’analphabètes, tandis que l’Italie était loin du compte! Et à l’époque, le Tyrol du Sud a une tradition paysanne très solidement ancrée. Pour les instituteurs italiens formés à la hâte et les fonctionnaires, le Haut-Adige est une terre de mission, un milieu ressenti comme foncièrement hostile aux nouveaux maîtres totalement ignorants d’une tradition et une civilisation séculaires, surtout quand ces fonctionnaires viennent des régions méridionales encore sous-développées dans les années 20.
Pour italianiser le territoire et renverser la proportion ethnique, Mussolini fait venir des dizaines de milliers d’Italiens dans les nouvelles zones industrielles crées à Bolzano (aciéries notamment), où se construit une ville nouvelle à l’architecture typique des années 30. La population de Bolzano passe ainsi de 20 000 à 80 000 habitants, en majorité italiens. A noter que les Allemands ne peuvent pas prétendre à un emploi dans l’industrie, ils restent considérés comme des paysans incultes, puisqu’ils ne connaissent pas l’italien.
Quand l’Allemagne nazie annexe l’Autriche en 1938, un grand espoir renaît. L’Allemagne est au Brenner! La propagande nazie se répand aussi au Tyrol du Sud. Mais comme Hitler a besoin de Mussolini comme allié dans ses entreprises; il ne va pas se fâcher avec lui pour quelque 250 000 Allemands. Pas question d’annexer ce territoire. La solution est trouvée: ce sera l’OPTION, qui va déclencher un drame et déchirer les familles. La question est simple et difficile à la fois pour une population attachée à son terroir. Faut-il rester allemand en abandonnant son terroir millénaire, en s’installant ailleurs, (et pas nécessairement dans le Reich, il est question de la France-Comté (Besançon, ça sonne comme Bozen, non, et puis il y a des vaches, des montagnes, dans le Jura…), et même de l’Ukraine ou de la Bessarabie. Et l’on fait croire à ceux qui veulent rester qu’ils deviendront Italiens et qu’ils seront dispersés sur tout le territoire italien. Ce serait donc la solution finale du problème sud-tyrolien, la purification ethnique « propre ». En fin de compte, 86 % des Tyroliens du Sud sont favorables à l’option « Heim ins Reich ». Et l’évacuation commence dès 1939. Ceux qui restent (« Dableiber ») sont considérés comme des traitres et livrés à la vindicte publique. Au total, ce seront 75 000 Tyroliens qui partiront, vers le Tyrol du Nord, Salzbourg et la Bavière. Mussolini cherche à freiner le mouvement en promettant que les « restants » resteront dans le Haut-Adige. Puis l’effort de guerre qui nécessite des trains pour les troupes et finalement le renversement de Mussolini en 1943 arrêteront l’hémorragie. L’Italie devenant pays ennemi et occupé, les Allemands restants sont enrôlés dans des bataillons de police allemands, au mépris du droit des peuples. Quand à ceux qui ont opté pour le Reich, ils ont été automatiquement enrôlés dans la Wehrmacht, comme les Alsaciens-Lorrains.
Il serait trop long de parler de l’après-guerre et du combat pour l’autonomie, avec la vague d’attentats des années 50 et 60. Cela dépasserait de beaucoup le cadre du forum « Blagues ».
L’Autriche, comme « puissance protectrice des intérêts des Tyroliens du Sud », a reconnu en 1992 que les mesures d’autonomie étaient intégralement réalisées dans la province de Bozen/Bolzano telles que le stipulaient les accords, et a enterré le contentieux austro-italien sur la question.
Quand au monument, s’il est toujours debout, c’est que la position des Italiens envers leur histoire et notamment le fascisme est toute autre que celle des Allemands envers le nazisme. Les Italiens n’ont pas honte du fascisme, c’est pour eux une période de l’histoire, et les monuments construits à la glorification du régime mussolinien sont restés (Au Tyrol du Sud, j’ai encore vu des boîtes à lettres arborant les insignes fascistes au début des années 80). On a tenté de rebaptiser à Bolzano la « Place de la Victoire » en « Place de la Paix ». Un référendum a annulé cette décision, en arguant qu’il ne saurait être question de paix si l’on conservait le monument. Et cette inscription reste… tout comme subsistent depuis 60 ans les ressentiments dans les familles suite à l’option…