Je ne travaille pas du tout dans les mêmes conditions. Je n’ai que des niveaux avancés, des élèves avec allemand langue seconde mais qui vivent ici en pays germanophone. Il n’y a pas de manuels scolaires pour eux. Je fais ce que je veux comme je veux quand je veux. L’école a un cadre pédagogique que je dois respecter mais il est tellement idéologico-baratinant qu’on peut le garnir ad libitum comme une dinde de noël.
Mais pour l’essentiel, je ne trouve pas qu’il y ait de grandes différences entre les manuels que j’ai pu connaitre en Suisse ou en Norvège. Seuls les Néerlandais ont un niveau d’allemand au bac impossible à atteindre dans un autre pays et pour des raisons de proximité linguistiques évidentes. En cours à Amsterdam, je ne prononçais jamais une phrase de néerlandais, juste un mot pour traduire un faux ami de temps en temps.
En Norvège et en Suisse Romande, c’est du grand n’importe quoi. D’abord tout le monde s’en fout de l’allemand, et ensuite, la pénurie de profs d’allemand en général fait qu’on trouve, en partie, les pires connasses à ces postes. Mention spéciale Norvège : à force de dire que la grammaire c’est pas amusant, on finit par avoir des profs qui font autant de fautes que les élèves. Mais c’est encore pire chez les profs de français que les profs d’allemand.
La mode au tout communicatif est en train de vivre une certaine remise en question. J’ai suivi le débat en Norvège. La fac de Germanistique d’Oslo a rajouté un semestre de remise à niveau avant de commencer le cursus normal l’année où j’étais en formation pédagogique. Les profs de fac ont fait une grosse colère publique car les taux d’échec et de redoublements en douce augmentaient d’année en année. Ce fut l’heure de vérité, où la fac mit le lycée face à ses responsabilités. Les pédagogues se sont insurgés, évidemment, car leurs géniaux programmes et leurs fabulissimes méthodes ne pouvaient être remises en cause, mais les profs de fac avait une stratégie imparable : le vrai niveau de langue des jeunes étudiants. Du coup, cette année-là à la fac de pédagogie pratique pour les futurs profs, la grammaire n’était plus tabou. Tout le monde restait enlisé dans ses certitudes, mais au moins, la question était revenue à l’ordre du jour. Malheureusement, ce n’est pas cela qui a fait bien avancer le schmilblick, mais ça m’a marqué en tant que jeune prof.
Aux Pays-Bas, la grammaire n’a jamais été tabou en allemand, car c’est essentiellement les questions grammaticales qui séparent l’allemand du néerlandais. Du coup, l’enseignement y est sérieux depuis toujours. L’avantage des méthodes communicatives pour un Hollandais germaniste, c’est qu’il développe ainsi tout le potentiel des ponts entre les deux langues. Mais pour ne pas faire une sorte de créole, on était obligé de bien remettre les choses en place par la grammaire. Evidemment, dans la vraie vie, les élèves préfèraient de loin profiter de la proximité des deux langues sans y regarder de trop près, ce qui donne ce drôle d’allemand si typique de la basse contrée.
Le truc qui me fait mourir de rire : les efforts pour moderniser et rajeunir les manuels sont jugés parfaitement riducules par les élèves. Les pédagogues ne sont pas djeunz, alors quand ils jouent aux djeunz, ça sonne faut. Les élèves ne sont pas dupes. En général, mes élèves sont beaucoup plus intéressés par des sujets adultes, des suports adultes à condition de voir un lien avec leur vie ou leurs expériences. Ils veulent grandir, alors c’est ridicule de faire des livres de lycée inspirés de MTV pour collégiennes hurlantes.