Ah l’informatique… si on veut que les profs en fasse plus, il faudrait déjà qu’il y ait du matériel qui marche, des heures pour préparer tout ça et surtout un budget pour entretenir un technicien à disposition en permanence. Sinon, c’est tout simplement une joke (anglicisme volontaire pour ironiser sur la coolitude ambiante).
Le prof d’anglais adoré cité ci-dessus rassemble les trois conditions, mais regardez-y de plus près: le temps et la formation, c’est sa vie privée, ses intérêts personnels, du coup, le mamouth profite d’une formation et de compétences pour lesquelles il n’a pas eu à se faire un seul cheveu blanc. Transferer cette vie privée sur tous les profs, c’est ubuesque.
Si vous demandez cela à tous les profs comme compétence nécessaire pour être prof aujourd’hui, alors il faut changer le programme des concours pour avoir les compétences recherchées. Quand on veut manger de la viande, on ne va pas au rayon légumes.
Je fais le désabusé, mais c’est que mon expérience est sans appel: la technique, ça n’impressionne pas longtemps. Il en faut toujours plus. Si on fait un film dans une seule matière avec un seul prof alors c’est mega cool. Si c’est la règle et devient une forme d’évaluation standard, alors c’est une corvée. Je l’ai vécu avec les idées théâtre, les présentations powerpoint et les clips filmés. A cet âge, certains adoreront, mais d’autres verront leurs complexes exposés par ces méthodes, la résistance des uns diminuera, mais celle d’autres augmentera. Mon expérience, c’est un jeu de vases communicants, surtout les activités visuelles où ils se montrent. De plus, les grandes gueules sont largement avantagées, pas vraiment le profil de l’élève compétent même si la poudre aux yeux technologique lui permet d’avoir des notes bien meilleures. Le problème, c’est que ceux qui profitent de ces technologies n’ont pas besoin de l’école, ils ont déjà ces compétences. Les autres détestent le prof comme n’importe quel élève qui se sent aculé. Retour à la case départ.
L’espoir, je le comprends bien, c’est de pouvoir transférer des compétences linguistiques grâce à des compétences qu’ils ont déjà dans des domaines qui leur plaisent. En théorie, moi aussi j’applaudis des deux mains. Dans la vraie de vie prof, et je pense en particulier à mes classes à Oslo composées exclusivement d’ados surgâtés suréquipés et surcyberspacisés. Le transfer de la coolitude du média aux contenus n’est pas gagné d’avance: si le prof n’est pas aussi bon qu’eux en informatique, la crédibilité du prof est morte y compris dans le domaine académique. C’est un massacre. Ils ne connaissent que le tout ou rien. C’est normal à leur âge, donc à nous de ne pas tomber dans le piège. Maintenant, évidemment, les profs qui assurent assez bien, dont moi, pour les besoin de l’enseignement ne sont pas trop rares non plus. Mais même là, c’est pas gagné. Le travail sur la langue, le sujet réel de l’enseignement, passe assez vite au second plan, car il ne faut pas oublier le prinicipal : ces méthodes sont très très très lentes. Le temps à investir pour ces projets est énorme. Gigantesque. Il faut y passer ses journées. Or, le temps à disposition est très court. Ces méthodes seraient nettement plus intéressantes et plus efficaces si on avait toute la journée pour nous. Allez dire ça aux autres profs.
Que les parents veuillent des enfants bilingues avec trois heures ou quatre par semaine, passons. On s’en fout de leurs fantasmes. Mais ces méthodes sont largement utilisées en Scandinavie en cours d’allemand et de français et en Angleterre aussi. Et vous les entendez parler ces langues, vous? Moi non, je suis toujours obligé de parler leur langue, moi le petit Français né parmi un peuple nul en langues à l’école archirétrograde.
L’allemand coule parce qu’il n’est pas cool. Point. Les profs n’ont aucune influence sur les fantasmes adolescents et encore moins sur ceux des parents. Les méthodes d’enseignement changent l’ambiance du cours, mais pas l’apprentissage.
P.S. Et puis j’en ai marre qu’on sous-estime le goût pour la lecture qui n’est pas mort chez la jeune génération, contrairement à la légende. Simplement, les gens aiment faire ce qu’ils savent faire, c’est tout. Par définition, apprendre, c’est passer outre ce confort. Ce que relativement peu de gens acceptent, y compris adultes.