La différence est bien visible aujourd’hui en Alsace-Moselle, cette « Terre d’Empire » annexée par le Reich allemand qui n’a pas connu la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, et qui a conservé le régime concordataire.
Quand les Alsaciens de la zone frontière ont été évacués en 1939 vers le Sud-Ouest, ce qui a le plus surpris les habitants des villages d’accueil, en dehors que ces « étrangers » ne parlaient pas français, c’était la cohésion sociale de cette communauté regroupée autour de son prêtre ou de son pasteur.
Mais pour revenir à la différence fondamentale entre la France et l’Allemagne:
Au départ, en France tout comme dans les pays allemands, le souverain l’est « par la grâce de Dieu ». Une différence fondamentale: la France est un pays centralisé, dirigé par un monarque absolu qui pratique la politique du pré carré, tandis que les pays allemands sont une myriade de royaumes, duchés, grands-duchés et principautés de toutes tailles, formant un ensemble plus ou moins lâche sous la direction d’un « empereur germanique » qui siège à Vienne.
Or, en France, il se passe un événement considérable en 1789: la Révolution, qui abolit la royauté, la religion, instaure la République, dont les idées et idéaux essaimeront en Europe, véhiculés par les armées napoléoniennes, entre autres en Allemagne.
Après la chute de Poléon, la réaction royaliste et catholique reprend les rênes en France. L’avènement de la IIIe République marque la faille dans la société française. La droite réactionnaire sous l’alliance du sabre et du goupillon, qui culminera avec l’affaire Dreyfus, et la gauche républicaine et laïque, dont le cheval de bataille sera l’instruction publique, qui était jusqu’alors l’apanage du clergé.
En Allemagne, le mouvement unitaire va se faire à partir de la Prusse dont le berceau, la province de Brandebourg autour de Berlin, est de tradition protestante. Mais la Prusse occupe un immense territoire, qui va de la frontière russe à la frontière française (Sarrebruck est prussienne), et les régions périphériques, notamment la Rhénanie, la Silésie et, depuis le partage de la Pologne, la Posnanie, sont de tradition catholique. De plus, la province de Posen ainsi que la Haute-Silésie sont peuplées d’allogènes de langue polonaise. En Rhénanie, au fil de l’industrialisation, on assistera à la naissance d’un catholicisme social (qui inspirera aussi le catholicisme social en Belgique). C’est de cette mouvance chrétienne et sociale que se réclamera le premier chancelier fédéral Konrad Adenauer, qui entra dans la politique comme bourgmestre de Cologne. Dans la constellation prussienne, le catholicisme rhénan représente une force oppositionnelle très virulente, très ancrée chez les milieux ouvriers de la région de la Ruhr, fer de lance de l’industrie prussienne. L’autre bastion industriel est la Haute-Silésie, autre région à dominance catholique. Entre les deux, des régions d’économie agraire, au sol plus ou moins ingrat, et peuplées de protestants.
En Prusse, l’antagonisme protestants/catholiques va conduire, dans le cadre du « Kulturkampf », à la promulgation des lois sociales, avec la création des assurances sociales, pour prendre de vitesse le catholicisme social en Rhénanie, qui oeuvre dans ce sens.
Sur le plan de l’unification, il faut contrer l’influence des Etats catholiques que sont la Bavière et surtout l’Autriche. Le Prussien Bismarck est partisan d’une « petite Allemagne », c’est-à-dire d’un Empire allemand sans les pays autrichiens, trop catholiques et trop « bougnoulisés » à son goût (on a assez de problèmes comme ça avec les Polaks en Prusse. Alors, s’il faut y mettre encore les Ritals, les Tchèques et les Yougos… bref). L’idée européenne sombrera sans gloire sur le champ de bataille de Sadowa en 1866, et le Reich allemand, l’Allemagne proprement dite telle qu’on la connaît aujourd’hui, sous forme d’une fédération d’Etats allemands, sera fondé à Versailles en 1871, point final d’une guerre d’annexions menée depuis 1864 dont l’Autriche, le Hanovre, la Hesse, la Saxe… et pour finir la France ont fait les frais.
Donc, en résumé, si en France, la religion est associée à une mouvance plutôt réactionnaire, en Allemagne, les communautés religieuses sont traditionnellement ancrées dans le tissu associatif et social. Il n’y a donc pas de contradiction en Allemagne à se proclamer à la fois « social » et « chrétien ».