La raison parle par la bouche de ce monsieur , me semble-t-il.Autant je suis un ardent défenseur des dialectes , autant je suis d’accord avec lui pour dire que ne pas enseigner à l’école la norme standard, c’est fermer aux élèves l’accès au monde extérieur.
Je ne vois d’ailleurs pas en quoi Hochsprache et dialecte seraient incompatibles.
Cette question pollue le débat sur l’éducation en Suisse allemande depuis des décennies. Il y a même régulièrement une tentative de faire passer une initiative pour imposer l’usage du dialecte dans les écoles maternelles et primaires. La dernière tournée du genre s’est terminée en compromis canton par canton. En théorie, l’école est entièrement en haut-allemand, y compris une exposition plus ou moins poussée au haut-allemand en maternelle. Dans la pratique, il y a des cours en dialecte même au lycée (les profs de sciences, de maths, de sport et parfois même des profs de sciences humaines laissent les élèves débattre et discuter des thèmes en dialecte). Il y a aussi des profs dont le niveau en haut-allemand ne tiendrait pas la comparaison avec un collégien de Hanovre, et ce n’est pas seulement à cause de la prononciation… Bref, les Suisses sont nuls en allemand, Suisse allemande comprise, et ça commence à se voir. Au gymnase, ça va encore car la pression est de plus en plus forte de la part des hautes écoles et des universités mais dans l’enseignement professionnel et l’apprentissage, c’est une catastrophe. Les apprentis n’y sont pour rien, ce sont leur profs qui les ont trahis dans une école complaisante de nationalisme béat. A force de vouloir adapter le système scolaire aux élèves et de vouloir leur facilité l’acquisition de diplômes, les Suisses sont arrivés à en oublier de transmettre leur langue. D’ailleurs, ces milieux-là parle parfois de l’allemand comme d’une langue étrangère. Comme quoi, ça peut être très con, un Suisse. Le drame, c’est que l’apprentissage ici conduit aussi (et c’est fabuleux!) aux maturités professionnelles, cela peut même mener à de hautes écoles et des postes à responsabilité dans l’industrie et les services. Du coup, cette partie-là de la Suisse qui non seulement travaille mais dirige est tellement nulle en allemand qu’elle s’isole dans un fétichisme dialectophile borné qui réduit d’autant leur capacité à comprendre le monde. Je suis très reconnaissants aux Allemands transfrontaliers particulièrement nombreux à Bâle de forcer tous les jours la moitié de la ville à parler en haut-allemand, c’est une entreprise salvatrice dont de trop nombreux Suisses ne savent pas apprécier la valeur.
Les enfants doivent apprendre à faire la différence entre les situations où le dialecte est de mise et où la langue standard est requise, à l’écrit comme à l’oral. En l’occurrence, le débat a été soulevé par le fait que 3 candidats au certificat de bilinguisme ont été recalés parce qu’ils s’étaient exprimés en dialecte. Or, dans le cadre d’un examen notamment, c’est naturellement la maîtrise de la langue standard qui prévaut, tant dans une langue que dans l’autre.
Je suis ravi de voir que cela semble encore évident au Südtirol, car c’est justement ce qui devient de plus en plus difficile à faire accepter en Suisse allemande. L’isolement socio-culturel a une expression linguistique : le pan-dialectisme. Or, une société qui s’isole de son aire culturelle de référence est un Disneyland en puissance. La Suisse y est presque. Espérons que le Südtirol saura l’éviter.
Elie et toi , vous vivez en plein au coeur de la problèmatique dialecte / langue standard.
Il me semble que les enfants savent spontanément à quel registre de langue ils doivent avoir recours dans telle ou telle circonstance.
Mes 3 petits enfants ( entre 3 ans 1/2 et 6 ans 1/2) sont de père anglophone
maitrisant parfaitement le français et de mère francophone (ma fille ) maitrisant parfaitement l’anglais…après 13 ans passés aux US , c’est le moins !
Mes puces fréquentent une école bilingue ; ils savent très bien , instinctivement , avec qui et dans quelles circonstances il faut s’exprimer dans telle ou telle langue.Mais il y a , à la base , une volonté des parents.Mais peut-être que la problématique dialecte / langue standard n’est pas totalement assimilable à la problématique langue / autre langue.
Si le dialecte, en Suisse comme au Sud-Tyrol, est parlé dans toutes les couches de la société et dans tous les milieux, il n’en reste pas moins que le déficit d’instruction se revèle par cette absence d’interrupteur qui permet de basculer en connaissance de cause du dialecte à la langue standard, comme autrefois en France, celui qui ne parlait que patois ou la langue régionale était celui qui n’avait pas fréquenté l’école, symbole de promotion sociale. D’où la crainte des parents de voir leur enfant rater l’ascenseur social s’il continuait à parler « patois », notamment en Alsace, et avant la Grande guerre, en Bretagne.
Les enfants peuvent passer sans aucun problème du dialecte à la langue standard, comme n’importe quel bilinguisme… mais aux mêmes conditions : ils faut une exposition suffisante. Or, en Suisse, l’exposition au haut allemand commence à être plus qu’insuffisante dans une grande partie de la société, et l’école n’est même plus le garant de cette exposition depuis longtemps. Pour la Suisse, c’est trop tard. Bonne chance aux sud-Tyroliens.
J’aurais cru que c’était moins mauvais qu’avant avec l’exposition accrue de la Suisse au monde (germanophone et autre).
Mais vu que je ne parle quasiment jamais allemand avec des jeunes , je ne peux pas juger de la qualité de leur enseignement
Pour des raisons diverses et pas toutes objectives, je suis assez anti-suisse en ce moment, donc dans un sujet pareil, je perds vite le sens de la nuance. Néanmoins, l’exposition accrue au monde germanophone fonctionne plus comme un révélateur de lacunes que de moteur de la germanophonie. Les nombreux travailleurs allemands venus ces dix dernières années parlent un allemand d’Allemagne qui fait vite pâlir bien des Suisses. D’ailleurs, cela se transforme plutôt en animosité complexée qu’en saine émulation. La tendance est au rejet des Allemands pour ne pas avoir à se mesurer à eux. Ce n’est pas que linguistique, mais c’est une douche froide quand même pour cette culture très dialectophile suisse qui prévaut depuis largement trente ans. Admettre le désastre qu’elle a causé devrait encore prendre aux Suisses autant de temps. En attendant, la xénophobie ordinaire fait son travail, et elle le fait gründlich, à la suisse…
Ceci dit, dans la jeune génération, celle qui a grandi avec et par les réseaux sociaux, le déficit langagier n’est pas spécifique à un pays en particulier. Les francophones et les Allemands sont aussi linguistiquement très isolés à cet âge. La communication avec les adultes est plus réduite que pour la génération d’avant, car ils ne se parlent maintenant qu’entre eux. L’école et la famille ne font pas le poids, ne font plus le poids. Ils ne regardent que peu la télévision, faites plutôt pour les 30-50 ans, ce qui agrave encore l’isolement langagier. La vie sociale de moins en moins mixte intergénérationnellement fait le reste. En Suisse, la conséquence est le dialecte omniprésent, en France c’est le mauvais français, en Allemagne, c’est le mauvais allemand etc…
Je trouve l’analyse d’Elie intéressante sur le fond, même si je serai plus nuancée, de très nombreux suisses/sud-tyroliens maitrisant très bien aussi le Hochdeutsch (quand ils le veulent bien).
Mais cette question réfère à l’utilité et à l’utilisation des dialectes régionaux.
Dans les années 60-70, on voulait appartenir au courant dominant : on rejetait les dialectes, on rejetait sa langue d’origine qui on était issu de l’immigration pour s’intégrer.
Aujourd’hui c’est tout le contraire. Le dialecte permet de s’affirmer comme faisant partie d’une communauté spécifique tout comme la langue d’origine pour les immigrés.
Est-ce que ce sont les incertitudes économiques et sociales qui font qu’on a besoin de se rattacher à une « famille » (communauté) plus réduite ? Repli identitaire ?
Est-ce que c’est l’avenir ?
Je ne le pense pas.
Ou si, je pense que cela risque d’être un avenir possible, même si ce n’est pas souhaitable.
Je suis passionnée par ces spécificités locales, source d’enrichissement.
Mais parfois, pour la paix des peuples, je me demande pas si on ne devrait pas en arriver un jour ou l’autre à une seule langue pour tous (j’exagère volontairement le trait, je ne pense ni que cela se fasse vraiment un jour, ni que cela soit souhaitable).
La tour de Babel, tout un symbole…
C’est vrai peut être pour la France. Mais ce n’est certainement pas vrai pour la Suisse alémanique. On n’affirme rien par l’utilisation du dialecte simplement parce qu’on le parle déjà tout le temps.
Dans ce pays (partie germanophone, je dis) on vivait toujours une diglossie allemand-dialecte. Ca n’a pas changé. Et comme dit le Monsieur dans le message de Andergassen à propos du Sud Tyrol, le peu de pratique que nous avions en bon allemand venait toujours de l’école. Est-ce qu’on y parle moins l’allemand standard aujourd’hui qu’avant? Ca m’étonnerait. Mais Elie et plus à même de juger, étant prof et en contact constant avec des jeunes et l’école.
Quant à l’écriture et la lecture, par contre, elles étaient toujours en allemand standard. Est-ce que la qualité a vraiment baissé? . Est-ce que les nouveaux média font des ravages? Peut être. Pire qu’ailleurs? Je doute. Est-ce que le language SMS privilégie le « parler » et donc, naturellement pour la Suisse, le dialecte? Certes. Est-ce en soi un probleme? Peut être. Néanmoins, je viens de recevoir un long courriel de mon fileul de 12 ans, ce pauvre garçon a du répondre à un long couriel de ma part. Et sa réponse était entierement en allemand standard - et il faut que je vous dise, dans un allemand impécable, sans aucune faute et très soigné (ce qui m’ a frappe vu son age!).
Après, il aime lire des livres. Ca doit avoir un impact. Mais c’est un autre sujet.
J’ose le penser. Il y a une perméabilité entre dialecte et langue qu’il n’y a pas entre deux langues plus différentes.
Carrément. En fait, je me demande combien de temps des gens comme moi, formés uniquement à l’allemand, pourront encore traduire de l’allemand de Suisse (je ne parle pas du dialecte, mais bien de l’allemand de Suisse !) C’est truffé de fautes de grammaires et de mots qui n’existent nulle part ailleurs.
Je pense que ça va bientôt donner la situation traductologique inverse du Canada : au Canada, l’anglais source est le même, mais certains exigent des traducteurs Québécois pour le rendre dans un français québécois. Avec la Suisse, le français cible importe peu car c’est à peu près le même qu’en France, mais il va bientôt falloir être spécialiste de la Suisse pour comprendre l’allemand de départ… Rendez-vous dans 20 ou 30 ans.
PS : autre chose qui me frappe : certains clients suisses au téléphone me causent dans leur charabia incompréhensible alors qu’ils savent parfaitement que je ne parle pas le dialecte… M’est avis qu’il ne font pas bien la différence eux-mêmes, et pourtant ce sont des linguistes ! Inquiétant, ça !
Sonka, mauvaise nouvelle pour toi: leur charabia, ce n’est pas du dialecte, c’est leur haut-allemand… avec leur accent de plus en plus marqué. La situation est tellement catastrophique que j’en viens à éprouver un vrai bonheur quand je rencontre un Suisse qui sait prononcer les ich-Laut. Rarissime. Idem pour les différences de vocabulaire : souvent, ils ne savent pas identifier les helvétismes dans leur allemand et sont vexés quand un Allemand leur demande des précisions pour être sûr de bien comprendre… bref, ils sont nuls. Ces derniers temps, j’ai d’ailleurs été assez désagréables avec des Suisses qui poussaient le bouchon un peu loin. Ils ne se rendent pas compte du problème, c’est un dialogue de sourds car ils sont persuadés d’être aussi doués que leurs ainés. Comment leur dire qu’ils se trompent, dans leur propre pays, sur leur propre langue ?
La réponse des populistes: blick.ch/news/schweiz/deutsc … d3122.html
La réponse d’un Suisse un peu moins borné que les autres: zueri-berlin.blogspot.ch/2006/08 … utsch.html
La bonne nouvelle du jour (oui, je suis anti-suisse en ce moment): tagesanzeiger.ch/leben/gesel … y/16580793
Ouais, à vrai dire, je soupçonne bien que tu as raison et que ce n’est pas du dialecte, mais vu que je ne pige rien de rien, je suis bien incapable de savoir de quoi il s’agit !
L’hypocrisie des Suisses allemands sur la question du dialecte notamment à l’école commence à me fatiguer. Je refuse désormais de répondre à quiconque me parle en dialecte, direction et profs compris. Les élèves ne s’y aventurent pas, donc même régime pour tout le monde. Il y avait un article il y a quelques semaines qui se terminait par une proposition qui revient à l’apocalypse pour des Suisses: et si on embauchait plus de professeurs venant d’Allemagne dans nos écoles pour renforcer le haut allemand dans l’institution et la culture scolaire…?
Elle est bien bonne, avouez-le. J’en ris encore.
Mon découragement face à des Suisses de plus en plus malhonnêtes sur la question s’explique aussi par le fait que je vois de plus en plus de fautes de grammaire dans des documents écrits qui nous sont soumis par l’administration. Je vais ostensiblement vers des collègues profs d’allemand et leur demande si c’est une helvétisme. Je me fais tuer du regard à chaque fois. Surtout depuis que je réponds en bas-allemand à tout mail que l’on m’écrit en dialecte.
Je vais finir par me calmer, mais je suis un peu susceptible sur le sujet en ce moment, alors franchement, je trouve désespérant de lire que les mêmes idioties arrivent aussi au Tyrol du sud. C’est triste.
A tout prendre, je préfère encore la « créativité » de l’allemand de Suisse au gloubiboulga globish qui se fait passer pour de l’anglais.
Au téléphone, j’ai dû avoir de la chance, pour l’instant, je n’ai jamais eu le problème que tu décris.
Pour vous, la dégradation semble aquise. Pour moi, l’allemand était toujours un problème pour les Suisses, vu qu’ils ne le pratiquent pas à cause de la situation linguistique particulière qu’ils vivent. C’est dommage mais c’est comme ça.
Je connais le niveau de la génération de mes parents, celui de ma génération et je dirais que les parents n’étaient pas plus forts. Malheureusement, je ne connais pas suffisamment bien le niveau de cette dernière génération dont vous parlez, mais pourquoi sa maitrise serait-elle du coup pire pour une quelconque nouvelle malhonnêteté propre à la Suisse?
J’admets par contre les défi globaux de l’enseignement d’aujourd hui comme le mode de vie de cette génération, la culture de « distractions », mais aussi le fait que beaucoup d’écoliers sont issues de l’ immigration non germanophone, et ne maitrisent peu ou pas du tout l’allemand avant l’insertion à l’école, ce qui complique évidemment l’enseignement pour tout le monde. Remède à ça: le fort taux d’immigration germanophone depuis peu, qui répand l’allemand standard dans les écoles.
Quand j’étais à l’école, l’idée d’enseigner en allemand standard au niveau maternelle (càd Kindergarten) était carrément absurde. Depuis une dizaine d’années, on y est ou presque - avec les contestations cités par Elie comme exemple pour la dégradation de la sitation.
Je suis en train de me demander, en relisant ce que vous écrivez ,mais peut-être que j’enfonce une porte ouverte , , si le Suisse allemand n’est pas de plus en plus en train de devenir une langue « à part entière » , poursuivant une tendance initiée depuis très longtemps déjà .Rendez-vous dans un siècle ou deux. Bon , peut-être que d’ici-là l’anglo-américain aura remplacé et le Schweizerdeutsch et le Hochdeutsch.
Je me souviens d’un entretien dans lequel Jean Ziegler rapportait que lorsqu’un de ses étudiants genevois voulait s’entretenir avec un de ses camarades d’études originaire de St Gallen , la conversation se déroulait souvent en anglais.
Cela dit , je suis pleinement d’accord , et je le redis , avec le monsieur dans le lien donné par Andergasen. Pourquoi se priver de la référence au Hochdeutsch ?
Du reste, c’est le même problème en Autriche, où la langue officielle est l’allemand, et non pas l’autrichien. En France aussi, c’est le même problème, mais sous un autre aspect, la diglossie langue écrite/langue parléel : les jeunes écrivent comme ils parlent, la communication écrite se faisant sous une forme synthétique nécessairement abrégée par le format des textos.