Pour terminer mes interventions sur ce forum je voudrais encourager ceux qui cherchent à comprendre ce qui s’est passé en Allemagne entre 1918 et 1945 à approfondir leur réflexion et à ne pas se contenter d’affirmations péremptoires ou de « on dit » qu’ils n’auraient pas vérifiés par eux-mêmes, c’est-à-dire à se plonger dans les ouvrages de référence sur le sujet.
Cependant, me direz-vous, pourquoi lire encore des livres sur l’expérience nazie ? N’en parle-t-on pas trop déjà, comme je l’ai vu dire ici et là sur ce site ?
Tout d’abord, l’objet de ces forums étant l’amitié franco-allemande, la connaissance réciproque des histoires des deux peuples y a sa place légitime : on aime bien que ce qu’on connait. Or la « catastrophe allemande » de 1933-1945 est si présente dans le subconscient collectif des Allemands comme de leurs interlocuteurs, qu’il serait absurde d’en faire un tabou, comme ces « secrets de famille » que tout le monde connait mais dont personne ne veut parler.
Mais il y a plus. L’expérience nazie a une valeur universelle et, comme l’affirme Ian Kershaw, le plus grand historien de la période, toute société moderne en crise peut être tentée par la voie du fascisme radical. La compréhension des évènements qui ont conduit à la chute de la république de Weimar et à l’avènement du Reich nazi est donc une clé indispensable pour comprendre les enjeux d’aujourd’hui, à l’heure où se profile une crise telle que le monde moderne n’en a encore jamais connue. Comprendre aussi pourquoi et comment Hitler et son régime parvinrent en définitive à obtenir le consentement – même partiel, même par défaut – d’une majorité d’Allemands, vaut la peine qu’on y réfléchisse.
Voici donc une sélection minimale tirée de la bibliographie de mon livre (qui comprend 300 titres).
1)Histoire générale du nazisme.
Je ne vois pas mieux que le monumental « Hitler » de Ian Kershaw qui retrace l’histoire du national-socialisme et de l’Allemagne de la fin du XIXème siècle à 1945 à travers la vie du Führer nazi. Un ouvrage précis et sans aucune concession au mythe.
Kershaw (Ian), Hitler,(deux tomes) traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Flammarion, édition revue, Paris, 2001.
2)Le nazisme « vu d’en bas ».
Outre mon propre livre dont j’ai suffisamment parlé, je conseille l’étude palpitante réalisée par William S. Allen sur une petite ville de Basse-Saxe.
Allen (William S.), Une petite ville nazie, traduit de l’américain par Renée Rosenthal, 10/18, Robert Laffont, coll. « Bibliothèques », Paris, 1967.
3)Témoignages.
Parmi les 250 témoignages que j’ai utilisés dans mon étude je vous en propose huit qui correspondent à trois critères : avoir été écrits au jour le jour, par des sujets du Reich, et sans intention d’être publiés. J’ai volontairement sélectionné des carnets et des correspondances assez peu connus.
[b]Andreas-Friedrich (Ruth), À Berlin sous les nazis. Une Allemande contre Hitler, traduit de l’allemand par Christian-Sylvain Richard, Flammarion, Paris, 1966.[/b] Ce journal intime qui couvre la période 1938 – 1945 témoigne de la situation des antinazis « apolitiques » sous la dictature. Journaliste, Ruth Andrés-Friedrich a été la principale animatrice du réseau berlinois d’aide aux Juifs, « Oncle Emil ».
[b]Dernières lettres de Stalingrad, traduit de l’allemand par Charles Billy, Buchet/Chastel, Paris, 1988[/b]. Goebbels aurait voulu publier à des fins de propagande les dernières lettres parties de Stalingrad assiégée. A leur lecture, il y renonça vite et on comprend pourquoi. Ces courriers poignants battent en brèche l’idée d’une Wehrmacht totalement fanatisée, alors même qu’il est admis que l’armée engagée en URSS était de loin la plus hitlérienne des armées du Reich.
[b]Kardorff (Ursula von), Le Carrousel de la peur. Journal d’une Berlinoise (1942-1945), traduit de l’allemand par Vera Kornicker, Bernard Grasset éditeur, Paris, 1964.[/b] Jeune femme issue de la « jeunesse dorée », Ursula von Kardorff a voté nazi en 1932 comme la plupart des membres de sa classe sociale. L’influence d’une de ses amies impliquée dans la résistance puis la mort de son frère en URSS en 1942 changent son regard sur le régime. Son journal témoigne de la « double contrainte » subie par les opposants pris entre la solidarité nationale face aux « bombardeurs » et la haine croissante envers le régime nazi.
[b]Maier (Ruth), Le Journal de Ruth Maier. De 1933 à 1942, une jeune fille face à la terreur nazie, commenté par Jan Erik Vold, K & B Éditeurs, Paris, 2009.[/b] Adolescente vivant au sein de la bourgeoisie juive de Vienne, Ruth s’exile en Norvège avant d’être rattrapée par la guerre et déportée à Auschwitz, où elle meurt. Son journal témoigne de l’incrédulité des Juifs et de leur impuissance devant la nasse qui se referme peu à peu.
[b]Mann (Klaus), Journal. Les années brunes. 1931-1936, choix et traduction de l’allemand par Pierre-François Kaempf, Grasset, Paris, 1996. Mann (Klaus), Journal. Les années d’exil. 1937-1949, choix et traduction de l’allemand par Pierre-François Kaempf, Grasset, Paris, 1998.[/b]
Au moment de l’ascension électorale de Hitler, Klaus Mann, fils de Thomas, est un jeune dandy homosexuel. Viscéralement antinazi, il s’effare du ralliement rapide de « l’élite intellectuelle » au national-socialisme. En 1937 il quitte l’Allemagne, participe à l’opposition en exil puis s’engage dans l’armée américaine en 1942. Le récit de sa rencontre avec Hitler dans une brasserie avant la prise de pouvoir ou sa description de l’US Army « plus raciste que les nazis » sont des pages d’anthologie.
[b]Razumovsky (Maria, Daria et Olga), Nos journaux cachés (1938-1944), traduit de l’allemand par Chantal Le Brun Keris et Catherine Vacherat, Éditions noir sur blanc, Paris, 2004. [/b]Les soeurs Razumovsky, de nationalité autrichienne, vivent dans la région des Sudètes. Après la conférence de Munich et le rattachement des Sudètes au Reich, elles apprennent qu’elles sont métis au regard des lois de Nuremberg. Leur journal à « six mains » témoigne du quotidien de l’Allemagne en guerre vu à travers les yeux de trois adolescentes.
[b]Scholl (Hans et Sophie), Lettres et carnets, traduit de l’allemand par Pierre-Emmanuel Dauzat, Tallandier, Paris, 2008.[/b] Avant de devenir des héros de la Résistance, Hans et Sophie Scholl auront été des jeunes gens ordinaires : enthousiasmés dans un premier temps par la promesse de renaissance de l’Allemagne et membres des jeunesses hitlériennes, ils réalisent peu à peu la vraie nature du régime. Superbement traduits par P.E Dauzat, leurs lettres – bien que prudentes à cause de la censure – témoignent du difficile quotidien des étudiants et leurs carnets de leur évolution vers la résistance et le sacrifice.
[b]Vassiltchikov (« Missie »), Journal d’une jeune fille russe à Berlin (1940-1945), traduit de l’anglais par Anne-Marie Jarriges et Anne Guibard, Phébus libretto, Paris, 2007.[/b] D’origine russe, « Missie », dont la famille a fui l’URSS, travaille au ministère des Affaires étrangères à Berlin. De par son travail et son appartenance à l’aristocratie, elle est proche des jeunes officiers qui tenteront d’abattre Hitler en juillet 1944. Ses relations de la vie quotidienne à Berlin sous les bombes et de la période de répression qui suit le putsch manqué sont poignantes.
J’aurais pu, bien entendu, citer des dizaines d’autres carnets et correspondances ainsi que des « mémoires » très intéressants (Sebastian Haffner, Edith Hanh-Beer, Melita Maschmann, etc.) Mais il faut bien se fixer une limite. Je reste à la disposition de ceux qui souhaiteraient aller plus loin et qui peuvent me contacter par message privé. Bonnes lectures, François.